‘Mahbas’ de Sophie Boutros, l’image en toute subtilité
Le 14/03/17
Premier long métrage de Sophie Boutros, ‘Mahbas’, qu’elle a écrit avec sa productrice, Nadia Eliewat, sort en salles le 16 mars. Entre le Liban et la Syrie, une histoire de déchirement et d’amour.
‘Mahbas’, l’affiche suggère l’essence même du film : l’intimité de deux familles contenue dans un même intérieur. Une intimité explosive et retenue, dans la convention du sourire figé, de part et d’autre, de par la position, l’attitude et les traits mêmes de chacun des personnages, y compris celui de la photographie accrochée au mur.
Quelque part, dans un des villages de la montagne libanaise, au détour d’un marché rustique de produits du terroir, un jour de fiançailles. Une longue, longue journée de fiançailles qui achoppe sur une réalité tout aussi simple que notre quotidien et que le spectateur découvre assez rapidement : le jeune fiancé, Samer (Jaber Jokhadar), est syrien, la jeune fiancée, Ghada (Serena Chami), est libanaise. Sauf que la mère de cette dernière, Thérèse, a une haine contre les Syriens qu’elle entretient de jour en jour. Une haine justifiée, valable, les deux coscénaristes, Sophie Boutros et Nadia Eliewat, y tenaient : le frère de Thérèse (Daniel Balaban), il y a 20 ans, durant la guerre libanaise, a été tué par une bombe syrienne.
Nœud gordien, aussi implacable que Thérèse, aussi tendu que les traits de Julia Kassar, qui se figent sous l’impact du drame qu’elle est en train de vivre. Un déchirement à l’échelle humaine, à l’échelle de deux pays que tout un système politique décati et un passé tout aussi sombre a érigé en observateurs avertis, qui s’empêtrent dans le silence et le non-dit, dans le racisme étouffé et étouffant. Sauf que, grâce, élégance et subtilité, la politique et ses répercussions, il n’en est nullement question tout au long du film. C’est au cœur de l’humain que se situent les péripéties émotionnelles des uns et des autres. Du public en premier, de chacun de nous.
‘Mahbas’, une comédie dramatique qui ne se contente pas d’engendrer seulement rires et pleurs à la fois, mais s’enroule de vérités, de vérités vues et vécues. Enfin dites Il n’est pas seulement question d’audace dans ce processus, mais d’un acte de langage. Y penser et le dire tout simplement, le raconter au plus grand nombre. Le film s’inscrit, en effet, dans la veine du cinéma populaire, du cinéma grand public, sans aucune connotation péjorative évidemment, mais bien le contraire.
Sujet sensible, certes, exposer ce racisme latent sans sombrer dans le piège d’un excès, d’un extrême ou d’une volonté de message sermon lancé à qui ne voudrait pas l’entendre. C’est par la subtilité qu’éclatent l’image, le mot et le geste. L’image d’abord, dépourvue d’artifice, de surcharge, de mouvement rapide, habitée en même temps de menus détails et nue, enrobée d’un grain “vintage” tant au niveau des couleurs que du tissu. Tournée vers l’intérieur, la caméra se pose, se penche sur les visages, les traits, les postures. Elle prend son temps, tout le temps nécessaire pour permettre au spectateur de se glisser tour à tour dans la peau de chaque personnage.
Thérèse, la mère, magnifique Julia Kassar, qui tient le film de bout en bout, qui brandit sa face dramatique, contrebalancée par le personnage de Solange, la voisine, hilarante Betty Taoutel qui se place, souvent, dans une zone tampon, même si elle porte elle aussi son drame, tout près du sourire. Et sur le visage de Maurice, toute la tendresse d’un père lassé et pétillant de vie, incarné par Ali el-Khalil. De l’autre côté, Bassam Koussa, aka Riad, et Nadine Khoury, Nazek, qui présentent un couple tout aussi contrasté que l’air facétieux de l’un et la mine renfrognée de l’autre. Tension qui va en crescendo, entrecoupée d’éléments externes, d’amour, de peur, d’abandon, de trahison, qui entraînant les personnages secondaire, dont Said Serhan, Nicole Kamato, Samir Youssef, dans cette danse sur le qui-vive, dans cette danse où “la vérité n’est d’aucun camp, puisqu’elle les contient tous”, et c’est justement dans ce relativisme que réside l’humanisme de ‘Mahbas’.
N.R.