Le théâtre Babel a offert les 6, 7 et 8 Décembre 2013 la pièce ‘Rituals of Signs and Transformations’ qui s'est jouée pour la première fois en anglais. Ecrite par Saadallah Wannous en 1994 et jouée par Nidal el Achkar en 1996, elle revient sur les planches du théâtre 16 ans plus tard. Cette traduction inédite de l’arabe à l’anglais a été réalisée par Robert Myers et Nada Saab, en partenariat avec l’AUB et le théâtre Silk Road Rising de Chicago. La mise en scène est signée Sahar Assaf.
Robert Myers a offert le jeu à des étudiants de l’AUB, tout en misant sur l’excellence d’une pièce écrite par l’un des plus grands dramaturges syriens du XXe siècle.
Saadallah Wannous (1941-1997) était partisan d’un théâtre politique, en prise avec la société. Ses pièces se veulent émancipatrices et explorent sans concession les liens entre l’individu et le pouvoir. Considéré comme l’un des plus grands hommes du théâtre arabe, il est mort prématurément d’un cancer.
Le jeu de ‘Rituals of Signs and Transformations’ prend comme point de départ un incident survenu dans les années 1880 à Damas, dans lequel deux ecclésiastiques ont été impliqués dans une querelle qui divisa la ville en deux factions. L'un était le Mufti, le chef religieux, appelé dans le jeu Cheikh Qassim, et le Naqib-Al Ashraf, le prévôt, appelé Sir Abdallah, le chef des descendants du prophète Mahomet. Lorsque le chef de la police arrête le prévôt en plein ébats amoureux avec sa maîtresse, une courtisane, le Mufti concocte un plan pour sauver la réputation du prévôt mais aussi celle de tous les notables de Damas. Pour confondre le chef de la police qui a procédé à l’arrestation, il demande à Mou’mina, la femme du prévôt, de se substituer en cachette à la courtisane emprisonnée. Le prix demandé par Mou’mina en échange de cette humiliation va bouleverser de fond en comble l’équilibre social de la ville.
Pendant deux heures, le spectateur, ébloui par le jeu, le décor, les lumières et les costumes chamarrés, ne peut s’empêcher d’entendre dans cette pièce engagée les échos sombres de la révolution syrienne qui sévit depuis bientôt trois ans. Les personnages témoignent d’une société où l’hypocrisie et le mensonge dominent, où les apparences sont trompeuses, et où les valeurs sont détournées pour dominer et surtout maintenir un pouvoir masculin absolu. En choisissant de devenir courtisane, la femme du prévôt met à nu ce monde de pouvoir corrompu en cristallisant autour d’elle toutes les hypocrisies sociales de l’élite dirigeante, politique et religieuse.
La pièce détient en elle-même les rouages qui ont mis le printemps arabe en mouvement. De l'utilisation corrompue du pouvoir politique à la condamnation écrasante de l'homosexualité en passant par le contrôle des mœurs, les thèmes abordés seront toujours pertinents dans nos sociétés, arabes ou occidentales. Aussi, les personnages sont imprégnés d’éléments de l'illumination soufie qui donne la possibilité de changer, de se transformer en quelque chose de beaucoup plus grand.
Seul regret, la pièce n’est jouée au Babel que sur trois représentations. Pour un chef d’œuvre de cet acabit, on aurait voulu voir et revoir ce monument du théâtre arabe, savamment mis en scène et traduit en anglais pour la première fois au monde.
Mariam Chfiri