Maqamat Dance Theatre présente jusqu’au 26 janvier, au théâtre al-Madina, sa création collective ‘That Part of Heaven’, sur un concept et une chorégraphie signés Omar Rajeh et interprété par Mia Habis, Ali Chahrour, Zei Khauli, Bassam Bou Diab et Hala Abi Rached.
Elles sont cinq. Cinq femmes, debout sur la scène, face à nous. Maquillage à outrance, cheveux impeccablement coiffés, exagérément coiffés, étonnamment habillées. La perfection de l’image. De notre image. Qu’elles nous renvoient d’emblée. Et pourtant, tout semble tendu. Dès le départ.
Folie et tensionSur un fond de musique tourmentée, syncopée, l’audience s’interroge sur ce qu’elle entend, comme des mots chuchotés, murmurés, inaudibles. Des mots où s’emmêlent les langues, l’arabe, le français, l’anglais. Mots ou simple articulation des lèvres ? Pas de discours, pas de face à face. Le seul face à face est celui qu’elles ont avec elles-mêmes. Et les mots commencent à se faire plus forts, à agiter les lèvres, les mains, les bras, les visages, le corps en entier. Des mots qui prennent le contre-pied de la folie qui, progressivement, rapidement, s’empare des corps, de la scène, de la salle. Folie, désordre, chaos. De la tension, de la tension. Les mots deviennent des cris, tout aussi inaudibles. Et la lumière s’éteint.
Pour se rallumer une seconde plus tard. Un deuxième tableau, un troisième, un quatrième. De plus en plus tendu. De plus en plus chaotique. Irrationnel. Irraisonnable. On dirait un asile de fous. C’est d’ailleurs ce que dira plus tard le professeur Chawki Azouri lors du débat qui a eu lieu après la première. Un asile de fous où l’être humain n’en est plus un. Il devient un pantin désarticulé, un corps démembré, une enveloppe charnelle qui subit aujourd’hui les séquelles de ce que nous avons vécu. Et dont nous n’avons pas encore fait le deuil. La guerre libanaise.
Déshumanisation Sur scène, un matelas éponge imbibé d’eau sur lequel les danseurs se déplacent, se roulent, rampent, s’entortillent, deviennent déshumanisés. Il leur est impossible d’accoucher d’un seul mot compréhensible dans un tortillement douloureux du corps. Ils deviennent animaux, singes, primitifs, instinctifs. Ils accusent violence sur violence et renvoient à la gueule du monde le reflet de cette violence accouplée à la colère. L’apparence fringuée du début s’estompe au fur et à mesure, se dilue, disparait, rejoint les marasmes de la terre, cette même eau nauséeuse enfouie au plus profond du sol.
Les séquelles actuelles de la guerre libanaise : un sujet qui touche au plus profond de l’âme et que Omar Rajeh a réussi à transposer dans la chorégraphie des corps qui se devaient d’être saccadés, désarticulés, déshumanisés. Même si parfois certains mouvements ou tableaux semblent répétitifs, ‘That Part of Heaven’ tranche par la fulgurance poignante et envoûtante de certains tableaux, qui vous marquent, de manière indélébile, comme la guerre.
Dans la salle, pas un mot, pas un murmure, pas un souffle. C’est que le souffle vient à manquer. Les souvenirs affluent. Les images se succèdent. Des images de guerre, de massacre, de violence, de tension, de stress, de consumérisme, d’apparence. Les multiples couches de la performance s’effeuillent. Les cinq danseurs sur scène nous renvoient à notre propre image, à notre propre condition. C’est maintenant que la catharsis doit commencer.
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'That Part of Heaven'
[Photos © Melissa J]