Confessions en temps de Corona : Gregory Buchakjian
21/03/2020
Gregory Buchakjian, Artiste et historien d’art, directeur de l’École des arts visuels à l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba), Université de Balamand
Pensez-vous que cette situation va amener à un changement ? et si oui, comment ?
Le changement est là. Depuis les deux guerres mondiales, jamais la marche du monde n’a été bouleversée de la sorte, ni par la guerre froide, ni par les attentats du 11 septembre. C’est fascinant que la nature de l’événement soit sanitaire et non politico-militaire, même si beaucoup de théories du complot ont circulé. On ne peut pas prédire de quoi sera fait demain, mais celles et ceux qui auront vécu cette expérience en garderont la marque. Dans nos vies au Liban, il y aura eu l’avant 1975 (que je n’ai pas eu la chance de connaître), la guerre de 1975-90, les trente pas glorieuses de la reconstruction sans vraie reconstruction et l’ère pleine d’incertitudes dans laquelle nos vies ont basculé le 17 octobre 2019. Quand je regarde des photos prises l’été dernier, elles me donnent une nostalgie similaire à des images vieilles d’un siècle.
De quoi est fait votre quotidien en temps de confinement ?
Comme la plupart des institutions, l’Alba est opérationnelle grâce à l’enseignement en ligne. Ça a été un grand apprentissage : Quelles formules pour quels cours ? Quelles plateformes de communication ? Comment adapter les projets et travaux ? L’expérience est passionnante. Elle oblige à sortir de nos zones de confort et à remettre en question ce que nous pensions être des évidences. Étonnamment, elle créé avec étudiants, collègues et intervenants de nouvelles interactions et des liens inattendus. Le monde académique aura beaucoup de leçons à en tirer.
À un degré plus intime, le confinement est le moment idéal pour les grands rangements : se débarrasser de choses inutiles ; ressortir des lettres, photographies, coupures de journaux pouvant avoir une forte charge émotionnelle et / ou une valeur historique. « Tu gardes pas mal de choses quand même. Tu les gardes pour les souvenirs ? » m’a demandé une amie. Je ne sais plus ce que j’ai répondu, mais dans la mesure où les archives ont toujours eu une place prédominante dans mon travail artistique, ces choses sont en quelque sorte ma nourriture.
Des petits bonheurs simples d’une vie active, qu’est-ce qui vous manque le plus ?
Voir – en vrai - les êtres que j’aime. Et aller danser.
Qu’est-ce qui ne vous manque pas ?
L’hystérie, le bruit, cette marche effrénée vers on ne sait quoi.
Pour tromper l’ennui que suggérez-vous à nos lecteurs comme
LIVRES : Il y a sur ma table un empilement de livres. Certains m’accompagnent depuis des années (Cinéma 1 et 2 de Deleuze, Histoire de la sexualité et Histoire de la folie à l’âge classique de Foucault). Il y en a que je relis (le dernier a été Le théâtre et son double d’Artaud) et d’autres que je découvre (en ce moment Les séquestrés d’Altona de Sartre).
Par ailleurs, le Metropolitan Museum de New York offre gratuitement des centaines de magnifiques livres d’art en PDF. Une mine d’or. https://www.metmuseum.org/art/metpublications/titles-with-full-text-online
ŒUVRES MUSICALES :
Conversation musicale avec une amie.
Dernier envoi d’elle : Sira, Ablaye Cissoko & Volker Goetze
Dernier envoi de moi : The Civil Wars, Philip Glass
Podcast ou youtube à suivre : Abbout Productions propose tous les quelques jours un film libanais en accès gratuit.
https://www.facebook.com/AbboutProductions/
Recette de cuisine : La cuisine est devenue une affaire d’état. On discute les recettes en famille, avec les amis et ensuite nous partageons photos et commentaires sur nos stories Instagram. Suggestion de la semaine : « Foul Akhdar » (c’est la saison), bouilli avec sa peau puis mijoté avec carrés de viande, un peu d’ail et des oignons (pas de citron, de coriandre ni de tomates). Il y a eu un débat s’il fallait le cuisiner avec le riz (façon riz au poulet) ou le garder dans son jus, nous avons choisi la 2e option.
Autre chose ?
Yoga chaque matin. Rêverie à toute heure.
Un mot d’encouragement
L’après me hante. La nuit dernière j’ai rêvé que la Banque du Liban n’avait plus que mille dollars dans ses réserves. Pourtant, malgré les difficultés qui vont s’accumuler, tout n’est pas négatif. La grande catastrophe est que pendant des années, nous savions au fond de nous-mêmes que le crash allait indubitablement arriver mais nous étions dans le déni. Le temps est venu de faire le ménage, de repenser notre société, notre économie et notre territoire. La Thawra a généré des acquis formidables en termes d’initiatives sociales et environnementales. En l’absence d’un État qui va prendre les choses en main – ce qui console ou affole est que certaines grandes puissances ont eu des gestions du covid.19 bien plus catastrophiques que la notre – il faudra aller de l’avant en poursuivant de telles entreprises. Créer des emplois, non pas dans des shopping-malls mais dans des secteurs productifs ; constituer une économie intelligente, non anachronique, solidaire et respectueuse qui permette aux femmes et aux hommes de trouver une vie décente et, mieux, un épanouissement.
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