AVE BEYROUTH
Comment expliquer votre détermination à lancer Beirut Chants ?
Plus que jamais et sans la moindre hésitation nous sommes au rendez-vous ! Après le 4 août, notre mission m’a paru encore plus essentielle. Ce cataclysme m’a brisé l’esprit, le cœur, je ne croyais plus en rien. Ce sentiment étant par ailleurs collectif, j’ai compris qu’on ne pouvait surmonter le désespoir, la dépression, la tristesse, que par la profondeur de notre foi et l’attachement à nos valeurs suprêmes. Je voulais témoigner pour ces victimes innocentes dont la vie a été arrachée de façon injuste, et dire à ceux qui les pleurent qu’ils sont toujours présents dans nos cœurs et nos pensées et dans chaque grain de terre de notre pays, que leur douleur est la nôtre. D’ailleurs la musique n’est pas un luxe, elle est essentielle dans notre vie et nous avions adopté ce slogan pour l’édition de Beirut Chants 2019 en pleine révolution du 17 octobre.
Avez-vous été personnellement touchée par cette catastrophe ?
J’ai eu deux maisons complètement détruites : celle de mon fils à Saifi et de mes parents à Achrafiyeh. Mais grâce à Dieu personne de ma famille n'a été touché et j’ai senti cette grâce comme un appel pour poursuivre mon action et pour moi, le seul moyen est de donner un espoir à travers la musique. Ainsi j’ai organisé avec Beirut Chants le 8 septembre à saint Maron, église gravement endommagée, sous le thème de « Sound of hope », un concert donné par Abeer Nehmé, dont la merveilleuse voix a retenti dans toutes les rues et ruelles de la capitale à travers des systèmes de son installés partout. Elle a chanté Beyrouth dans un très beau répertoire qualifié par les médias étrangers « d’un appel à l’espoir d’un peuple pris en otage dans son propre pays ». Ce 8 septembre était à mes yeux une thérapie à notre drame et chagrin collectif. Par la suite nous avons organisé un concert de quatuor à Arthaus Beirut à Gemayzé pour soutenir les artistes libanais, la Croix Rouge libanaise et des familles sinistrées.
L’ESPOIR PAR LA MUSIQUE
Organiser la 13e édition de Beirut Chants n’était-ce pas une décision bien difficile à prendre dans la conjoncture présente ?
Face à l’immensité et l’étendue des drames multiples à tous niveaux causés par la catastrophe tragique du 4 août et face aux crises financières, économiques, sociales que nous vivons et qui ont mis tout un peuple fier à genoux, même s’il assume sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive, nous avons décidé que rien n’arrêtera notre action. Car la musique est un véritable baume au cœur.
Ce fut une décision unanime de toute l’équipe de Beirut Chants, Père Toufic Maatouk le directeur artistique, Nayla Abou Aziz pour la communication, Toufic Akiki le créateur artistique, Richard Azouri, aux finances, Carole Khoueis, Nada Paoli et Nayla Sader qui s’occupent de tous les moindres détails de la logistique, Mohammad el Abed, et Afif Soubra pour le digital et les réseaux sociaux. Le concept de Beirut Chants 2020 a été créé par notre courage et notre détermination. Je n’ai voulu faire aucun compromis ni sur la qualité de ce festival ni sur la durée qui s’étendra du premier décembre au 23. Quant aux moyens financiers même si les sponsors sont bien moins nombreux que par le passé je sais que l’aide arrivera toujours.
Quid du Covid 19, un handicap majeur. Comment allez-vous le surmonter ?
Nous étions pleinement conscients qu’il fallait faire face au Covid 19 et respecter les consignes. L’image des foules qui se pressaient dans les églises et aux portes tout au long du mois de décembre de Beirut Chants était impossible à admettre. Il nous fallait, pour cette année, mettre des limites strictes et un contrôle impératif. Avec Abdo Husseini, directeur du Virgin ticketing, j’ai fait un accord non sponsorisé pour trouver les solutions adéquates. Afin de limiter le nombre de personnes au concert, des billets gratuits mais numérotés, j’insiste sur le fait qu’ils sont gratuits, devront êtreretirés en ligne. Par ailleurs, étant donné que la plupart des églises de la capitale ont été durement touchées par l’explosion du port, les concerts seront donnés dans leur grande majorité à l’église Saint Maron qui vient d’être restaurée et brille de mille éclats. Un grand merci à père Richard Abi Saleh le moteur de Beirut Chants. A Saint Maron les places seront limitées à 350 alors qu’initialement l’église pouvait accueillir 650 personnes. Il y aura 4 personnes sur chaque banc au lieu de 8, avec des places numérotées, les masques sont obligatoires, et un contrôle strict à l’entrée. J’ai signé un contrat avec Boecker afin que l’église soit désinfectée avant et après le concert. Dans un article récent, le New York Times relevait « que si on prend les mesures nécessaires il y a beaucoup moins de risques dans un concert que n’importe où ailleurs ». Certaines soirées auront lieu à l’église Saint Joseph de l’USJ avec les mêmes mesures, et je remercie les pères jésuites pour leur étroite collaboration. L’ouverture le premier décembre en hommage à toutes les victimes du 4 aout aura lieu à Saint- Joseph avec le Requiem de Mozart. Elle sera retransmise le 2 décembre par la MTV, et les autres concerts le seront soit par la MTV ou la LBC ou Télé Lumière, et sur les réseaux sociaux. Tous les concerts commencent à vingt heures précises et tout retard de dix minutes fera perdre sa place à la personne.
LA MUSIQUE UN BAUME
Qu’en est-il du programme et de la réaction des artistes contactés pour animer Beirut Chants ?
Les artistes contactés par Père Toufic Maatouk ou par moi-même, ont eu une attitude émouvante, tout à fait semblable à la nôtre. Rien ne les arrêtait. Ils voulaient être avec Beirut Chants et rendre hommage à Beyrouth en disant « ce Festival est le nôtre et nous sommes à vos côtés dans les meilleurs moments comme dans les plus durs ». J’aurai pu étaler le programme sur trois mois tant l’enthousiasme était grand. Les ambassades nous ont apporté leur plein appui. Ils ont cru en nous et sans eux nous n’aurions pas pu avoir un programme aussi riche et varié. Je remercie l’ambassadeur du Brésil qui a invité le célèbre ténor Paolo Paollilo, l’ambassadrice de suisse pour assurer la participation de Xavier de Maistre à la harpe, l’Institut français pour celles de la pianiste Lise de la Salle et Henri de Marquette qui interprétera Bach sur violoncelle, et l’ambassade d’Italie pour la participation de Daniella Cammarano au violon et Fausto di Benedetto au piano. Le grand pianiste Abdel Rahman Bacha vient de Paris offrir un concert en hommage à Beyrouth, Ghada Shbeir,sera exceptionnelle comme chaque année, Abeer Nehmé viendra de Suède, Matteo Khodr sera au rendez-vous ainsi que Jahida Wehbe, Fadia Tomb El-Hage & Famille et Shady Torbey. Les Libanais découvriront la soprano Joyce el Khoury internationalement connue. Guy Manoukian donnera un récital en l’Eglise Saint Élie d’Antélias, Un hommage sera rendu à l’Arménie et au peuple Arménien dans un très beau concert.
LIBAN, PAYS DE CULTURE
Que dire en cette fin d’année 2020 ? Quelles sont vos réflexions ?
Sans même y réfléchir je dirais ce qui ne tue pas nous rend plus fort. Et nous, les résilients, nous avons l’obligation et le devoir de prendre notre sort en main. Le confinement a renforcé la qualité des relations humaines, a modifié notre mode de vie. Il nous a permis de découvrir ce pays tellement beau, nos campagnes, nos plaines et nos montagnes à travers des marches, d’écouter plus de musique, de lire davantage.
Pour ma part je suis plus que jamais déterminée à maintenir Beirut Chants et si d’aucuns veulent tout changer au pays du Cèdre, moi je veux préserver une chose essentielle, l’identité culturelle du Liban en tout domaine : l’art, la musique, la peinture, la poésie, les lettres. La culture est génétique en chaque libanais, du fin fond des villages aux tréfonds des villes. Et quel qu’en soit le prix, nous devons défendre avec force, témérité et courage cette valeur incontournable : Liban sanctuaire de culture.
Consultez le programme en cliquant ici
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