L’année dernière, Karim Nader lance son projet ‘Nineteen84’. Il répond aux questions de l’Agenda Culturel.
Vous êtes connu pour votre approche du paysage dans l’architecture, comment engagez-vous un dialogue avec la texture de Beyrouth et la région de Gemmayze sur le projet ‘Nineteen84’?
Beyrouth est une ville à voix multiples. Quand une société de communication et design comme ‘Nineteen84’ décide d’installer ses bureaux en rez-de-chaussée d’un magasin du début du 20è siècle sur la rue Gouraud, on est directement tenté de dialoguer avec la ville, mais aussi, certainement, avec sa mémoire. Plusieurs émotions sont là possibles, celle de l’ancien magasin avec pignon sur rue, son mur en pierre de sable, ses moulures, celle du restaurant Le Rouge qui y résidait avant nous avec sa cuisine en mezzanine, la vie nocturne de Beyrouth, ses pubs, ses piétons enivrés jusqu’à l’aurore…
Pouvez-vous élaborer sur votre méthodologie de design, en particulier pour ‘Nineteen84’ ?
Je rêve d’architecture. J’aime infuser une certaine sensation de narrativité : roman devenu espace vécu. Comme 1984 est déjà un roman à la base, celui de Orwell, de multiples thèmes se sont imposés d’entrée. L’idée de surveillance m’intéressait en particulier, reprise par Apple pour leur publicité du premier Macintosh présenté lui aussi en 1984. Ces idées fonctionnelles, esthétiques ou narratives se superposent par strates contradictoires dans l’espace du projet. De jour, il devient blanc et lumineux, meublé d’un assemblage hétéroclite de chaises et meubles récupérés d’anciens usages, jusqu’à la chaise du dentiste, père de Said —à la tête de ‘Nineteen84’, qui vient hanter la cuisine en mezzanine de l’ex-restaurant… De nuit, l’espace est une installation colorée visible de la rue par le voyeur plus ou moins saoul de passage, l’écran de l’Apple Macintosh 1984 diffusant des images d’une autre époque devant le rideau de mousseline.
Vous aimez la contradiction dans votre travail, pouvez-vous nous en dire plus ?
La contradiction est le moteur de l’histoire. Psychologiquement parlant, la contradiction produit un moment d’arrêt et donc une certaine prise de conscience dûe à notre incapacité à appréhender ce qui se contredit. Architecturalement, je recherche la contradiction à tous les niveaux : narratifs, chromatiques, programmatiques… Cela ne veut sûrement pas dire chaos visuel au final, bien au contraire, je recherche toujours l’harmonie au-delà de la contradiction.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Nous sommes à présent bien attelés à la rénovation de l’Immeuble de l’Union à Sanayeh. Le projet est une joie en soi, la chance de pouvoir préserver un bâtiment de cette valeur historique… Nous travaillons toujours sur des projets de résidences individuelles, une passion personnelle depuis toujours, chaque maison racontant sa propre histoire ; nous en avons une à Baakline autour de la maison de verre de Johnson ainsi qu’une autre à Faqra, entre les rochers, et peut-être bientôt une île dans l’océan Indien… L’architecture reste toujours une aventure incertaine, on vit souvent d’espoir, mais aussi de désillusions. Je célèbre cette année aussi les 20 ans de mon diplôme à l’AUB, au travers d’une exposition rétrospective, à suivre…
En tant qu’invité de la délégation libanaise au Festival WAF (World Architecture Festival, Amsterdam, novembre 2018), quelles sont vos impressions ?
J’ai senti que je revenais à l’école justement. Des architectes de par le monde, certains très connus (Foster, Hadid, OMA), présentaient des projets aux côtés d’architectes moins connus, toutes nationalités confondues. L’atmosphère fraternelle m’a beaucoup surpris et redonné espoir quant aux ambitions humanistes de la profession. J’ai été très fier d’y rencontrer Youssef Haidar, Nabil Gholam et Fouad Samara qui n’ont pas démérité ainsi que de nombreux architectes (indiens, japonais, vietnamiens, turcs…) dont les inspirations locales et multiples m’ont réjoui. Preuve aussi que le Liban ne se porte pas aussi mal qu’on ait envie de le dire.
(Photo : ©Marwan-Harmouche)
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