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Bassam Geitani nous emmène « Dans le creux du chaos » à la Galerie Janine Rubeiz

22/03/2024|Garance Fontenette

Au cours d’une visite guidée organisé par l’Agenda Culturel, Bassam présente son exposition « Dans le creux du chaos », sa réponse artistique à la tragique explosion qui a touché Beyrouth le 4 aout 2020. Le succès de son travail a amené la galerie à prolonger l’exposition jusqu’au 16 avril prochain. 

 

C’est en 1990, après la guerre civile, que Bassam déménage à Paris. Ville dans laquelle il vivra jusqu’en 2003 avant de revenir au Liban. Cet originaire du Akkar travaillera entre autres à la Cinémathèque française, une période formatrice et inspirante pour l’artiste. Depuis son retour dans son pays natal, il enseigne à l’Université Liban-américaine de Beyrouth, en parallèle d’être un artiste libanais désormais reconnu. 

 

Une vingtaine de personnes se retrouvent ce mercredi 20 mars à la Galerie Janine Rubeiz, qui est située à Raouché. Un cadre unique, où la mer rencontre Beyrouth, nous rappelant inconsciemment ce drame qui s’est joué au port il y a quatre ans. Tout le monde est attentif aux paroles de Bassam qui se livre sur son processus de création de cette métaphore visuelle de cet événement et sur les conséquences que cela a produit sur la société libanaise.

 

« Et c’était une explosion énorme qui a fait trembler le coeur de la ville de Beyrouth et de ses alentours » 

 

Lorsque nous entrons dans la Galerie, ce sont ces mots qui nous frappent directement. Retranscrits en calligraphie arabe, l’installation artistique de Bassam se tient sur un pan de mur entier nous obligeant à le relire plusieurs fois et à comprendre le sens important de cette phrase. Entremêlant les lettres en béton et des morceaux de tissus parsemé entre elles, Bassam, par ce choix minutieux de matières nous renvoie aux infrastructures détruites et aux vies disparues de ce 4 août. 

 

Face à ces mots transformés en oeuvre d’art, l’émotion est déjà forte pour les visiteurs présents. Bassam poursuit en précisant qu’il faut « donner forme à l'événement et le présenter d'une manière particulière. Il est de la responsabilité de l'artiste de regarder les choses sous un angle différent ». 

 

La visite guidée se poursuit et nous arrivons en face de son œuvre dont le titre est « La fenêtre de la peur » en hommage notamment à la carrière d’Alfred Hitchcock, nous dit l’artiste. Celui pour qui le cinéma tient une place importante dans sa vie s’inspire de l’objet phare de la carrière de l’immense cinéaste en l’adaptant à sa vision artistique pour cette exposition. Face à cet encadrement recouvert d’une toile blanche, Bassam nous interpelle sur « ce que l’on ne voit pas » de l’évènement ou en tout cas partiellement comme lorsqu’on regarde par une fenêtre. Selon lui, « en regardant à travers une fenêtre, nous n'apercevons qu'une partie de l'histoire. Lorsque nous observons le port, nous pouvons ressentir qu'un crime a été commis, mais nous n'avons pas tous les détails. ».

 

L’artiste s’attarde ensuite sur son installation « Les ellipses narratives ». Un rideau initialement présent dans l’appartement de l’artiste, dont l’explosion a soufflé les fenêtres, le blessant par ailleurs. Ce rideau qui aurait pu être relié à ce drame pour le restant de ses jours, Bassam en a décidé autrement et crée une œuvre artistique saisissante. Ce rideau, il décide de le déchirer et de l’assembler sur une toile de lin avec de l’acrylique donnant un résultat poignant. Le rideau, comme une métaphore de la vérité que l’on cache sur cette explosion rejoignant ainsi le titre de l’oeuvre « des ellipses narratives ». Ces parties du film que l’on devine mais dont qu’on ne voit pas et dont on ne sait rien. Et pour cause, « il existe une zone aveugle dont nous ignorons tout, celle qui se situe entre l'arrivée des produits explosifs et l'explosion elle-même. » dit-il. Dans son œuvre « Paysage », l’artiste reprend l’autre partie du rideau, vestige de ce moment tragique. Basssam y a ajouté des déchirures avec des fourchettes, des morceaux de verres issus de la fenêtre soufflé au moment de l’explosion.

 

Nous nous retrouvons ensuite devant un assemblage de vingt et une toiles de petites dimensions, les unes à côté des autres. Ces œuvres blanches écaillées de doré nous donnent l’impression de toiles similaires sans pour autant se ressembler entre elles. Bassam nous explique : « j’ai souhaité appliquer le même geste sur les 21 toiles et observer le résultat. Bien que j'utilise du vernis acrylique, la manière dont le geste est effectué peut donner des résultats différents à chaque fois. ». Une installation faisant écho à cette seule explosion qui pourtant, crée de multitudes de conséquences depuis quatre ans. 

 

En parallèle de cet assemblage se trouve son œuvre qu’il a intitulé « un jeu des effritements ». Une œuvre en béton de blanc immaculé sur laquelle l’artiste a joué avec les tailles et des morcellements. La blancheur de cette installation contrastant avec ces effritements semblables à des cicatrices nous rappelle en tant que spectateur les marques intangibles et historiques causées par l’explosion. Pour Bassam, « c’est l’effritement de la matière, mais aussi des hommes touchés, des âmes et des conscience ». 

 

« Les rides n’appartiennent qu’aux humains » nous apprend l’artiste en poursuivant vers son autre oeuvre intitulé « Le ballet des rides ». Une installation d’une grande dimension aux nuances crème se tient devant nous. Ayant pour souhait de « travailler avec l’usure des choses », Bassam a superposé des toiles de différentes matières et a creusé dans celles-ci, laissant apparaitre des marques de nuances de beiges différentes. Semblable à des rides, cette oeuvre est comme un symbole de la vie qui passe. Et pour cause, « je suis particulièrement touché par les veilles personnes qui ont subi l’explosion » nous explique l’artiste. 

 

Pour finir, Bassam évoque une idée importante du philosophe Gaston Bachelard qui l’a guidé pour son exposition. « Nous ne pouvons ressentir pleinement l'instant que lorsque nous perdons quelqu'un que nous aimons profondément ou lorsqu'une catastrophe survient. Cette idée résonne en moi, c'est pourquoi j'ai choisi d'explorer cet instant suspendu à travers mon exposition ». Ainsi, de ce moment « suspendu » qu’est l’explosion du port, l’artiste en tire un panorama saisissant des conséquences sur la société notamment grâce aux émotions qui sont retranscrites magistralement dans ses toiles.

 

Les oeuvres, bien que fondamentalement uniques les unes des autres, se font échos entre elles racontant une histoire, celle d’une explosion dont les séquelles sont nombreuses et éternelles. Bassam précise « Comme j’écris une histoire, je refuse d’utiliser les couleurs ». Et, en effet, nul besoin de couleurs lorsque les émotions sont là. Lorsque nous sortons de la galerie, nous ne sommes pas indemnes, l’estomac noué et les sentiments renversés. Nous sommes bouleversés. Si cette exposition exceptionnelle de Bassam nous émeut alors nous n’avons pas oublié. Cette notion d’oubli que l’artiste combat à travers son art, notamment avec son œuvre marquante « L’érosion de la mémoire » nous sert d’avertissement.  

 

Parce qu’il ne faut jamais arrêter de parler de ce 4 août, pour ne pas oublier et commémorer les disparus, les blessés et les pertes de ce tragique événement. Cette exposition « Dans le creux du chaos » de Bassam Geitani élève l’art comme moyen d’expression mais aussi comme moyen de résistance, véritablement nécessaire au Liban.

 

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