Valérie Cachard, auteure, enseignante, comédienne, co-présidente de la CITF
Pensez-vous que cette situation va amener à un changement ? et si oui, comment ?
Je sens depuis quelques années déjà que le monde dans lequel nous vivons ne correspond pas à notre propre rythme interne. Nous sommes tout le temps poussés vers le bout de nous-même que ce soit dans l’intime ou dans le professionnel. Ce n’est sain ni pour notre corps ni pour notre mental.
Je ne sais pas si cette situation va apporter un changement et je suis soucieuse de la période de transition. Nous allons avoir besoin d’un Sas de décompression et il serait bon que nos représentants ici ou ailleurs gèrent ce moment-là. La transition me paraît encore plus importante que « cet après inconnu » que nous appréhendons.
Je suis aussi inquiète pour tous les pays dans lesquels les gens ont peu accès à l’eau et au savon, à des hôpitaux propres et équipés.
Je veux croire en l’homme et croire que des changements individuels pourraient engendrer une prise de conscience collective.
Je rajouterai que c’est un moment pertinent pour interroger notre masque social. Avec quoi allons-nous sortir quand nous pourrons réinvestir les rues les cafés, les bureaux… à nouveau ? Qu’aurons-nous accepté d’abandonner… ? Dans une société qui repose beaucoup sur les apparences, nous avons besoin d’un retour à la vérité et à la transparence dans tous les domaines.
De quoi est fait votre quotidien en temps de confinement ?
J’ai vécu en Angola dans une province où nous étions avec mon mari les rares étrangers. Je n’avais de raison de sortir de chez moi que pour faire des courses et parfois je ne sortais pas pendant une semaine entière… J’ai donc l’habitude du chez soi, de la solitude et de l’auto-apprentissage en ligne de choses essentielles et totalement futiles. Il n’y avait évidemment pas cette peur du Coronavirus, mais il y avait d’autres peurs : le paludisme, une forme d’insécurité…
Aujourd’hui j’attends que la voisine d’en face sorte fumer sa cigarette, qu’une autre étende son linge ou épile ses sourcils et je prends beaucoup de plaisir à les regarder faire.
Je parle beaucoup plus au téléphone. Je fais moins de messages vocaux et plus de conversations. Je fais du yoga ou de la danse. Il y a plein de gens formidables qui offrent tous les jours des cours, j’ai aussi mes habitudes sur youtube.
Etrangement, j’aimerai ne rien avoir à faire pour me laisser prendre par ce vide, mais je passe pas mal de temps à préparer et donner des cours en ligne et à me dire que demain je me remets à mon projet d’écriture actuel.
Mon quotidien est aussi fait de rires. J’ai remarqué que je riais beaucoup plus que d’habitude. On reçoit tellement de blagues et de vidéos comiques et on prend plaisir à les partager, à les classer, les imiter parfois… On va peut-être bientôt se mettre à pleurer aussi. Enfin il m’arrive déjà de pleurer. Le jour de la fête des mères, lire qu’une partie des fleurs locales et importées allait finir à la poubelle m’a rendu infiniment triste. C’est peut-être bête mais c’est là que j’ai mis mon chagrin.
Je me suis demandé si offrir des fleurs qui auraient été coupées, manipulées par des mains potentiellement non lavées non gantées, enveloppées dans du plastique venu d’on ne sait où… pouvait être un danger potentiel pour les gens à qui j’avais envie de les offrir pour leur faire plaisir à priori. C’est dans ce genre de moment que je suis consciente de l’extraordinaire de la situation.
Des petits bonheurs simples d’une vie active, qu’est-ce qui vous manque le plus ?
Aller voir la mer pour simplement voir la mer, les discussions banales mais souvent pleines de bon sens que l’on peut avoir dans les petits commerces, les rencontres fortuites dans la rue, donner cours de théâtre en chair et en os, et évidemment les amis, bien que je me sente beaucoup plus proche de certains depuis le début du confinement On prend davantage des nouvelles les uns des autres alors que l’on a à priori moins de choses à raconter…
Qu’est-ce qui ne vous manque pas ?
Les voitures qui roulent vite, voir les gens jeter les détritus dans la rue, le bruit en général, la poussière, l’obligation d’aller à la banque, l’odeur des poubelles les jours où il fait chaud, la sensation d’être dans une course permanente, chercher une place pour me garer
Pour tromper l’ennui que suggérez-vous à nos lecteurs comme :
LIVRES : Des romans de Maryse Condé qui est une vraie conteuse, ceux d’Annie Ernaux qui relèvent de l’intime, la saga Malaussène de Daniel Pennac.
ŒUVRE MUSICALE : Je suis fan des pièces radiophoniques et j’ai écouté cette semaine une très belle version de Peter Pan qui est une œuvre assez étonnante et que je vous invite à redécouvrir racontée et orchestrée sur ce lien :
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/peter-pan-ou-le-garcon-qui-ne-grandissait-pas-0
PODCAST OU YOUTUBE A SUIVRE : De nombreux théâtres français proposent des captations de très bonne qualité que l’on peut voir pendant sept jours.
https://www.cdn-normandierouen.fr/
et localement écouter Nadine Touma raconter des histoires en arabe chaque soir. Elle me refait tomber en enfance.
RECETTE DE CUISINE : Pour le petit déjeuner prendre le temps d’écraser une banane et une bonne cuillère de beurre de cacahuètes, de saupoudrer de tumeric, de découper des fraises ou des kiwis en petits morceaux et d’ajouter des amandes.
AUTRE CHOSE ? : Adopter un animal si on en a les moyens et surtout l’envie. Ils ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la manière dont on peut percevoir le monde qui nous entoure et sur la légèreté, la paresse dans un sens constructif, et l’abandon.
Un mot d’encouragement
Ne vous laissez pas submerger par toute l’offre virtuelle qui nous arrive. Prenez le temps et laissez-le faire. Profitez de cette période pour être vous-même. Acceptez ce qui se passe comme une expérience de plus à vivre. Respirez et sentez vous respirer. Portez des vêtements que vous aimez. Bougez chez vous autant que possible et soyez là pour ceux qui ont besoin de vous. Réinventez les différentes manières d’être ensemble, d’être vivants ensemble.
Vos projets :
En ce moment en écriture d’une pièce de théâtre fantastique qui explore le côté obscur de la maternité
Photo @Christophe Pean
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