Le monde scientifique est en deuil. Un des plus éminents astrophysiciens de notre époque s’est éteint à l’âge de 91 ans, après avoir vulgarisé et expliqué, dans ses nombreux livres et à travers ses innombrables conférences et interventions publiques, les concepts les plus nébuleux sur l’origine du monde.
Hubert Reeves était venu au Liban, au salon Lire en français et en musique en 1998. Il m’avait alors accordé une interview assez exceptionnelle, comme vous pourrez le constater dans les quelques extraits de cette rencontre « cosmique » qui a accompagné depuis mes questionnements les plus profonds sur l’univers, mais aussi sur Dieu, l’au-delà, la mort…
Dans le concert des théories sur le cosmos, où vous situez-vous ?
… Beaucoup de recherches restent encore à faire, mais je crois que la théorie -ou le scénario – du Big Bang est encore la meilleure car elle explique beaucoup de choses.
Malgré tous les efforts, on ne peut que constater le dépérissement de la planète. Comment voyez-vous l’avenir ?
Avec inquiétude. Je suis extrêmement préoccupé. J’espère que les forces écologiques vont pouvoir stopper la pollution… Je suis souvent en contact avec les responsables en France (où il vivait les dernières années) et au Canada même (il est Québécois), mais je n’ai pas de contact avec Moscou, Pékin, Saigon ou la Thaïlande, ou même les pays d’Amérique du Sud. La déforestation de l’Amazonie est une histoire dramatique.
D’après vous, dans ces conditions, la planète en a pour combien de temps ?
Personne ne peut répondre à cette question, cela va dépendre de la vigueur de la réaction écologique. Il y a eu des conférences… De grandes nations se réunissent pour essayer de contrôler le problème… La question est de savoir si elle est assez rigoureuse. C’est ce qui va se jouer dans les prochaines décennies.
Comment envisagez-vous la probable fin du monde ?
On a beaucoup plus de renseignements sur la fin de l’univers que sur la fin de la vie sur la planète. On peut prévoir que le soleil va mourir dans 5 milliards d’années, mais on ne peut absolument pas prévoir comment sera la terre dans 100 ans. La Terre en elle-même se porte bien, mais la biosphère comment sera-t-elle ? On n’en sait rien. C’est le grand problème, la grande angoisse de notre ère.
Vivez-vous cette angoisse ?
Tout à fait ! J’ai des petits enfants et je me demande quelle sorte de planète sera la leur dans 50, 60 ans. Je ne suis certainement pas très optimiste… Il faut essayer de rester éveillé, c’est un des rôles que nous avons, nous les scientifiques, tout comme vous la presse, d’éveiller l’attention des gens… Il faut insister, expliquer que ce n’est pas seulement une rumeur ou une alerte; il faut dire que c’est quelque chose de très grave. C’est notre message et c’est votre devoir de le faire passer.
Êtes-vous athée ?
Non. Un athée a une réponse : Dieu n’existe pas. Moi, j’ai beaucoup de questions, mais pas beaucoup de réponses. J’aimerais bien savoir.
Votre évolution personnelle a-t-elle influencé votre vision des choses ?
Oui, bien sûr. Découvrir la merveilleuse organisation qu’il y a dans l’univers. Cette fameuse croissance de la complexité, le déroulement de l’univers, c’est quelque chose qui suscite des questions. Est-ce que tout cela est dû au hasard ? Je ne le crois pas. Mais alors, qu’est-ce ? Et c’est ça que je ne sais pas. Je pense que je suis croyant, mais je ne sais pas en quoi je crois. Je ne suis ni chrétien, ni bouddhiste, ni musulman, je ne suis pas pratiquant. Je suis en interrogation.
Où situeriez-vous la religion dans la cosmologie ?
Dans la question du sens. Les êtres humains ont tous besoin de donner un sens à leur vie. C’est l’origine des religions qui est différente de celle de la cosmologie…
Les physiciens ne recherchent-ils pas le sens de choses ?
Pas en tant que scientifiques. En tant que physicien, on ne recherche pas le sens. Mais quand on rentre chez soi, le soir, qu’on a fermé la porte de son laboratoire, on est comme tout le monde et on se demande : Quel est le sens de ma vie ? Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? Toutes ces questions que l’humanité se pose. Et, bien sûr, nous n’avons pas de réponse.
Il existe autre chose, alors ?
Bien sûr qu’il y a autre chose.
L’appelleriez-vous Dieu… ?
Non, c’est un peu réducteur. Ce serait plutôt comme une transcendance qui peut prendre la forme d’un dieu personnel comme dans le christianisme, ou un principe impersonnel comme chez les Bouddhistes ou les Hindous. Chaque groupe humain a son histoire sainte, qui diffère de celle de ses voisins.
Dieu pourrait-il être une hypothèse pour expliquer quelque chose dans l’univers ?
Je ne crois pas. Dieu n’est pas une démarche intellectuelle qui se situe au niveau du mental, de la physique, du cérébral. Les gens qui ont la foi ne prétendent pas la prouver. Ils croient en Dieu, c’est tout. Ce n’est pas une hypothèse qu’on énonce et qu’on pourra prouver. Je crois qu’on ne pourra jamais prouver Dieu, ni prouver qu’il n’existe pas. C’est hors du domaine de la discussion.
La science et la religion pourraient-elles se rejoindre éventuellement un jour ?
Elles doivent marcher côte à côte. La science vous dit comment le monde est fait et la religion vous montre ce qui a de la valeur, à quoi ça rime, à quoi ça correspond, s’il y a un Dieu. À ces questions fondamentales, la science ne peut pas répondre. Elle vous dit comment les choses fonctionnent, mais ne vous dit pas s’il y a un principe derrière tout cela, ce n’est pas son domaine. Les deux doivent coexister, mais ne doivent pas se rencontrer. Quand la religion prétend dire aux scientifiques comment ça marche, ce qui est arrivé avec l’Église et Galilée, elle fait une intrusion dans le domaine de la science. Ce n’est pas son rôle et le résultat est mauvais. Quand des scientifiques prétendent dicter, comme dans l’eugénisme et le nazisme, comment il faut se comporter, c’est également mauvais. Les deux doivent rester séparés.
Avez-vous peur de mourir ?
Oui, bien sûr. Qui n’a pas peur de mourir ? L’espoir que j’ai c’est peut-être de trouver des réponses à mes question. Qu’on me dise : « Tu vas arriver au paradis, au nirvana, je ne sais où, mais quelque part », cela me consolerait, mais je ne suis même pas sûr de ça.
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