La publication du docteur François Boustani, cardiologue de renom et chercheur -historien reconnu (la circulation du sang : Entre Orient et Occident, histoire d’une découverte (éditions Philippe Rey 2017) couronné par de multiples prix prestigieux ; L’essentiel en cardiologie (éditions Sauramps médical2012) ainsi que de multiples conférences publiques autour du Grand Liban) est cohérente, documentée, pertinente et magistrale. Elle met à notre disposition tous les éléments structurels qui ont contribué de manière interactive et évolutive à la Proclamation du Grand Liban (1920) et puis à son Indépendance (1943).
L’auteur expose au fil des chapitres les étapes de ce processus passant de la différenciation libanaise (le Levant, l’Emirat, la Province autonome du Mont Liban) au déclin puis l’effondrement de l’Empire Ottoman, en passant par la grande guerre (et la grande famine) jusqu’au Mandat français (1920-1943) puis l’Indépendance.
Il aborde dans la dernière partie la singularité de l’identité libanaise à travers l’expérience du vivre ensemble libanais, les guerres civiles et régionales (1975-1990) avec des repères chronologiques et une bibliographie sélective et bien fournie. C’est un travail précis, fluide, articulé, assorti de données statistiques, de cartes géographiques et un riche album de photos illustratives, d’une cinquantaine de pages et de grande qualité. Un véritable engagement pour la nation libanaise (la nation est une construction idéologique qui précède le projet politique et le soutient) et un plaidoyer pour ce pays particulier.
Je ne saurais tarir d’éloges par rapport à ce travail, rigoureux et accessible. Il faut juste se précipiter pour l’acquérir, le découvrir, le dévorer et le diffuser car il constitue une plateforme idéale pour la compréhension, pour pouvoir remettre un cadre de rationalité et permettre une prise de conscience véritable par rapport à l’identité culturelle de ce pays paradoxal et complexe.
Je voudrais juste émettre deux ou trois remarques succinctes.
Tout d’abord il faudrait connaître son histoire pour envisager un avenir, il faudrait savoir d’où l’on vient pour définir où l’on va. C’est une condition inhérente à une destinée commune. Il y a le temps long qui est celui de l’Histoire et le temps court qui est celui de l’action politique. Et pour associer l’efficacité et la durée, l’un ne va pas sans l’autre, car il faut la distance pour concevoir de manière globale, analyser et se projeter à long terme et la décision pour appliquer, agir sur le terrain et avancer au fil des mois et des années.
Ce qui se déroule au Liban depuis le 17 octobre est bouleversant et inespéré et portera ses fruits tôt ou tard car on ne peut arrêter la vie d’un peuple et sa volonté manifeste de se construire, de dépasser les clivages communautaires et de s’unifier. Pour cela il est important de souligner dans cette année du centenaire le cheminement difficile, douloureux et providentiel de cette nation libanaise qui a consenti tellement de sacrifices durant des siècles et qui en consent encore. Le 20 ème siècle a débuté pour elle par une famine (1915-1918) qui fut une véritable hécatombe (plus de 200 000 morts soit le tiers de la population du Mont Liban) et s’est achevé par de multiples guerres (1975-1990) qui ont touché toutes les communautés confondues (200 000 morts et le double de blessés et disparus sans compter les déplacés). Ce qui est un très lourd tribut à l’échelle de la population globale libanaise (autour de 4 millions). Il faut respecter la mémoire de nos morts et surtout assurer la survie des vivants.
Le peuple libanais a une histoire commune évolutive et cumulative qui apparaît clairement dans l’ouvrage remarquable de François Boustani, un travail honnête, savant et maîtrisé comme seuls peuvent en produire les chercheurs sérieux. François Boustani est un scientifique et un humaniste avec la générosité et l’humilité du savoir. Il a pris cette initiative de mettre à notre disposition toute cette somme de connaissances en les organisant et en les reliant entre elles, de manière intelligible, intelligente et accessible. Certes l’Histoire est une science humaine donc forcément dialectique (contrairement aux sciences exactes) mais Boustani aborde toutes les thèses et les faits avec objectivité, mesure et clairvoyance.
Cet ouvrage aurait dû être réalisé avec le soutien de la commission spéciale pour le centenaire et les deux ministères de l’éducation nationale et de la culture. Maintenant le travail accompli et à portée, peut-être est-ce le moment de le relayer… C’est un acte de foi dans le peuple libanais, courageux, créatif, rebelle, fier, épris de liberté et surtout vivant de manière continue à travers l’Histoire et toujours vivant au jour le jour, pour la reconnaissance et la résistance de son identité singulière.
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