Quel est le thème qui se dégage à travers les peintures et le texte que vous présentez à Agial ?
S’évader, s’enfuir, partir loin de ce pays, de ce monde. Mon travail a toujours parlé de Beyrouth. J’ai rêvé d’une ville où les toits seraient des pâturages, les moutons des nuages…, On m’a caché la mer, Le cri de la ville … Voici quelques titres de mes expositions précédentes. Je m’étais alors penchée sur l’identité de Beyrouth au départ, pour par la suite dénoncer la destruction de notre patrimoine, de notre littoral, de nos montagnes...
Mais, la destruction de notre pays ayant atteint des sommets apocalyptiques, ni pinceaux ni mots ne suffisaient pour dire les choses, transmettre l’horreur qui me submergeait de la tête aux pieds. Alors, pour moi d’abord, pour aller mieux, j’avais besoin de créer un monde autre, un monde utopique, inspiré de Beyrouth mais sans l’être vraiment. Partir, partir loin d’ici, voilà le but de cette exposition.
Et sur le chemin et les conseils de mon galeriste, j’ai commencé à écrire. Parfois l’écriture inspire la toile, parfois le contraire.
En fait, le but de cette exposition, je me suis trompée plus tôt, n’est pas de fuir mais de sublimer une ville que j’aime de tout mon cœur et à travers cette ville faire briller le monde magique que l’on arrive toujours à percevoir, à sentir sur le bout des doigts, ce monde, ce souffle de vie qui vient de cette ville incroyable qu’est Beyrouth, malgré tout.
Cette exposition donc, le texte et l’écriture sont tout simplement un hymne à l’amour. D’ailleurs je retransmets ici le dernier paragraphe de mon texte pour l’exposition : « L’orchestre continue à jouer, les violons prennent le dessus,
Les spectateurs ont disparu,
La scène aussi, n’est plus scène et devient vie.
Trinquons donc à ta santé, à la mienne,
À l’amour. »
Vous êtes aussi DJ, la musique a-t-elle un rôle à jouer dans cette exposition ?
La musique, c’est ma plus grande passion. C’est grâce à elle que je retrouve mon rythme en peinture : les mouvements du pinceau, ses silences, mes blancs - ou mes noirs, ça dépend. Mais vous comprenez le principe. La musique, que ça soit en peinture ou en écriture, me permet non seulement de retrouver ma voix, mais surtout à l’étendre, la porter vers d’autres horizons, d’autres plateformes qui jusque-là se manifestent pour moi à travers mots et couleurs. Et en écriture aussi, c’est ça en fait ce qui compte le plus pour moi, le rythme d’un texte. J’écris comme une mélodie, tantôt douce tantôt perçante, mais le tout j’espère avec une harmonie bien propre à la musique, harmonie qui naît de la musique et s’en découle pour s’appliquer à tous les autres arts. Oui, c’est grâce à la musique avant tout que j’arrive à déconnecter et puis à créer.
« Traverser les crépuscules et guetter l'aurore tanguer au loin.
La nuit, la lune, un ciel,Un monde autre.
Partons.
Tu viens ? »
Ce paragraphe se répète au début et vers la fin de votre texte, pourquoi ?
… Ça c’est dû à une petite faute d’inattention de ma part. L’avant dernier paragraphe devrait, en fait, être le suivant :
« C’est bon, ça fait du bien, de la tête aux pieds.
Toutes ces couleurs, ces pas de danses, cette richesse tout d’un coup,
Je les sens vibrer dans mon corps au rythme de tes mouvements, de ta voix.
Je grandis tout d’un coup, mes jaunes s’accentuent, la lumière envahit ma ville,
Et je perçois le soleil qui se lève enfin dans un coin du ciel.
C’est bon oui, et ça fait du bien d’avancer sur une route plus tendre, plus rosée
Moins seule, plus vraie, ça tangue un petit peu
Car aussi fort qu’un bon son de trombone. »
À qui vous adressez-vous dans le texte et à travers vos peintures ?
Une professeure de lettres m’a fait remarquer que j’écrivais presque de manière surréaliste, en utilisant beaucoup le ‘je’ et le ‘tu’… Mon travail n’existerait tout simplement pas sans la présence très forte d’un autre. Ici, l’autre peut-être cette ville au corps de femme, Beyrouth, ou encore tout simplement la personne qui se tient debout devant les toiles, le spectateur. Et puis zut, ça c’est un secret aussi, je le garde.
‘Ville rouge et nuits en dentelle’, pourquoi Beyrouth, pourquoi la nuit ?
C’est tout simplement à Beyrouth que cette envie folle de peindre, d’écrire, de créer est née pour moi, c’est elle qui l’a inspirée, l’a soutenue, l’a fait grandir. Je dis ça en pensant aussi aux personnes extraordinaires que j’ai rencontrées ici, à Antoine Haddad, le premier galeriste qui m’a soutenu, puis à Aïda Cherfan qui m’a suivie et encouragée pendant de longues années. Je n’oublie pas le critique d’art Français, qui adore le Liban d’ailleurs, Jean-Dominique Jacquemond sans qui mon regard n’aurait été forgé.
Alors ‘ville rouge’ tout d’abord... ça c’est en partie grâce à mon galeriste actuel, Saleh Barakat. En fait, il m’a beaucoup fait penser aux couleurs, à leur pureté, leur tradition dans notre culture… cela m’a permis de retrouver quelque chose qui était présent et a fait la force, je pense, de ma toute première exposition. Après et pendant longtemps, j’ai peint à l’huile, donc je mélangeais la plupart du temps mes couleurs directement sur la toile dans des empâtements épais qui mettaient, comme Aïda vous le confirmera, des années à sécher… Puis, je me suis perdue un moment et autour d’une grande discussion sur la couleur, Saleh m’a dit ces mots ‘épure tes couleurs’. Et là tout d’un coup, j’ai pu me retrouver en quelque sorte et retrouver la force pour dire ce que j’avais à dire, et faire face.
Quant à pourquoi la nuit, ça, ça fait partie des secrets que je garde pour moi…
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