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I : Des projets aux musées

06/01/2019



Le Moyen-Orient n’a jamais fait autant couler d’encre dans les pages culturelles que depuis l’ère des ‘projets’ muséaux.

Une ‘révolution culturelle’ remarquée par sa démesure, qui fait revenir au centre de l’actualité une région souvent centre de l’attention pour les mauvaises raisons. Point d’orgue de plus de deux décennies fondatrices d’un phénomène de ‘muséification’ dans le monde arabe, le Louvre Abu Dhabi célébrait en Novembre dernier son premier anniversaire après son ouverture le 11 Novembre 2017. Dix ans après un accord historique intergouvernemental entre la France et les Emirats Arabes Unis le ‘premier musée universel du monde arabe’ voyait finalement le jour. Chaque pays souhaite désormais ‘son Louvre Abu Dhabi’.

Quel regard porter sur ce renouveau institutionnel qui a bouleversé la dynamique culturelle du monde arabe ? Loin de s’arrêter à la région du Golfe, la première à se lancer dans l’édification de ces nouveaux musées, cette émulation s’est répandue comme une trainée de poudre dans les pays alentours. Au Liban, par exemple, plus d’une dizaine de projets de musées ont été annoncés et devraient ouvrir leurs portes dans la décennie prochaine, prenant part à cette mutation culturelle.

Dessine-moi un musée

‘‘Il y a toujours eu des musées dans le Golfe depuis les indépendances’’ débute Alexandre Kazerounilors de notre entretien. Chercheur à l’ENS, politologue du monde musulman, sa thèse ‘Miroir des cheikhs’a porté sur la dimension politique de la construction de musées dans la péninsule arabique. ‘‘A la fin des années 80, le Golfe est tout sauf un désert culturel. Néanmoins, à partir des années 90 on va entrer dans une phase de rupture de la relation au musée’’. Selon lui, deux projets vont faire basculer la région en établissant les bases d’un modèle de musée distinctif de ce début du siècle. Le musée d'art islamique de Doha au Qatar, inauguré le 22 Novembre 2008 est le premier du genre - Kazerouni le surnomme ‘ancêtre
du Louvre Abu Dhabi’ - le précédant de neuf ans.
 



Signe distinctif incontournable et spectaculaire, ces musées ont vu le jour dans des écrins architecturaux colossaux pensés par des “star-architectes” occidentaux. Si le premier a été pensé par l’architecte français Jean-Michel Wilmotte et l’architecte américain I.M.Pei - l’homme derrière la célébrissime pyramide du Louvre -, le Louvre Abu Dhabi fera appel la décennie suivante à l’architecte français Jean Nouvel, dotant d’une image de marque préexistante un musée en devenir.

Autre élément primordial : le bouleversement des collections présentées dans le Golfe. Les musées ‘traditionnels’ de la région exposaient majoritairement les découvertes archéologiques locales- c’est le cas notamment Musée Archéologique de Sharjah pour ne citer que lui. Ils ont laissé place à des catégories artistiques traditionnellement moins valorisées dans le Golfe comme l’art de l’Islam ou l’art moderne et contemporain qui sont également valorisés dans les nouveaux musées.

Des musées imaginaires

Entre Doha et Abu Dhabi, le premier et dernier né, d’autres ont continué de fleurir : Du Musée National du Qatar - encore pensé par Jean Nouvel - qui doit être inauguré en 2019 au Musée du Futur de Dubai ouvert en 2017. Bien plus que des musées, leurs projets, surtout défrayent la chronique. Au moins cinq chantiers de musées et centres d’art ont été annoncés pour les années à venir aux Emirats Arabes Unis.

 


‘L’effet Bilbao’ - qu’on pourrait renommer en 2018 ‘Effet Louvre Abu Dhabi’ - semble catalyser les motivations incarnées par ces projets.

Faisant résonner le nom d’une ville bien au-delà de ses frontières, ces ‘musées-projets’ suscitent des retombées à court et long termes tant économiques, que touristiques mais aussi politiques à l’égard du lieu qui accueillera le nouveau musée avant même que celui-ci ne soit ouvert.

Ce nouveau modèle muséologique est qualifié par Alexandre Kazerouni de ‘musées-miroirs’ pensés par et pour l’Occident comme en témoigne la conceptualisation du Louvre Abu Dhabi. ‘‘Le musée permet de montrer que la nation existe et que la souveraineté de l’Etat est légitime. Les musées-miroirs permettent de réfléchir les attentes occidentales vis-à-vis du monde musulman’’. Il poursuit en expliquant que le musée, au-delà de sa dimension culturelle, permet également de sceller des réseaux d’alliances. Entre éducation et démesure, l’art opère comme une attraction légitimée. A travers des formes spectaculaires et des chantiers de plus d’une dizaine d’années, l’ouverture devient un momentum qui, bien au-delà des professionnels de l’art, capte un public international.
‘‘On nous a promis une île des musées - ndlr : Saadiyat Island à Abu Dhabi - certes, le Louvre a été inauguré mais le Guggenheim n’a pas encore vu le jour. Les projets ont changé l’image d’Abu Dhabi’’, poursuit Alexandre Kazerouni.

En effet, depuis 2006 est vantée l’ouverture d’un Guggenheim dessiné par l’architecte américain Frank Gehry. Celui-ci devait initialement ouvrir en 2017. Si aucune date d’ouverture n’a été envisagée ‘Tourism Development and Investment Company’, promoteur immobilier et touristique d’Abu Dhabi, a démenti la rumeur d’arrêt des travaux, affirmant que le projet est toujours d’actualité. Néanmoins, que ce Guggenheim ouvre un jour ses portes ou non, son nom existe déjà, son écrin architectural est déjà connu de tous, tout comme sa collection - déjà exposée à plusieurs reprises depuis 2014. Ainsi, ce musée imaginaire a-t-il vraiment besoin d’être abouti pour exister ?

Du Golfe au Proche-Orient
En s’éloignant un peu de l’extravagance du Golfe, nous constatons que d’autres pays du Moyen-Orient ont également fait ce choix du renouveau institutionnel engagé par la péninsule arabique.


 



En effet, la Jordanie a inauguré son Musée de la Jordanie en 2014, au Liban, une dizaine de projets sont en cours de conceptualisation. Même la Palestine est entrée dans cette ère, avec l’ouverture en 2016 du Musée de Palestine à Birzeit en Cisjordanie, dans un bâtiment pensé par la firme d’architecture basée à Dublin Heneghan Peng. Mais l'un des projets les plus attendus est le Grand Musée Egyptien, sorti du désert de Giza. Ce projet à plus d’un milliard de dollars qui devait ouvrir ses portes cet automne accuse un important retard des travaux. Une ouverture en 2020 est néanmoins envisagée même si 2022 semble la plus probable puisque marquant les 100 ans de la découverte de la tombe de Toutankhamon.
Si ces musées reposent sur un modèle similaire à ceux du Golfe, un élément est à distinguer : la nationalité des initiateurs de ces musées. En effet, dans le Golfe les musées de demain ont été majoritairement pensés par des Européens alors qu’au Levant la tâche a été confiée aux nationaux.

Pour Anne-Marie Afeiche, Directeur Général et Président du Conseil National des Musées, ne peut être musée qui veut. ‘‘Il s’agirait d’apprécier avec prudence le terme de ‘muséification’’’, si tout a commencé dans le Golfe, le Liban a pris son temps avant ses premiers ‘nouveaux musées’ afin de parfaire une vision du musée libanais qui sera défendue en vertu d’une dimension nationale en cours d’écriture. ‘‘Une mise à jour des musées et de leurs normes sont nécessaires avant de partir vers de nouveaux projets. Nous avons besoin d’élargir notre vision du monde muséal pour penser des musées qui pourraient mettre en valeur les particularités régionales’’.

 



A la fois vitrine internationale géopolitique et touristique, la conceptualisation des musées revêt un enjeu nationaliste permettant de construire à long terme une culture muséale. Rita Nammour, présidente du comité exécutif de l’association APEAL à l’origine du futur BeMA (Beirut Museum of Art) invite à ce titre à la responsabilité des directeurs de musées de la région. ‘‘Il est nécessaire d’insuffler un sens de responsabilité aux musées. C’est comme cela que nous pourrons changer le pays et réunir les gens. (…) Le fait de ne pas avoir de livre d’histoire au Liban nous force à penser à un lieu où il y aura un dialogue pour les nationaux’.
 


 


 

AUTEUR DU DOSSIER : Léa Vicente
 

Assistante de collection pour la fondation Dar El-Nimer à Beyrouth, Léa Vicente est diplômée d’un master en droit du patrimoine et du marché artistiques de l’Université́ Panthéon-Assas à Paris, elle est également spécialisée dans les arts de l’Islam grâce à l’obtention d’un Master 1 dans cette discipline de l’Université́ Paris-Sorbonne. Journaliste culturelle pour plusieurs médias français et libanais, elle est à l'affût des pratiques culturelles émergentes du monde arabe et observe avec attention leurs évolutions.


PHOTOS : Samir Nicolas Saddi
 

Samir Nicolas Saddi est architecte, photographe et chercheur avec plus de 40 ans d’expérience internationale (dont 25 ans passés dans plusieurs États du Golfe : Arabie, Qatar, Émirats, Kuwait...). Travaille depuis 2004 dans la gestion de projets de musées dont le Musée d’Art Islamique et le Musée National au Qatar, le Musée du Louvre Abu Dhabi, le Musée de la Monnaie de la Banque du Liban, le Grand Musée Egyptien ainsi que d’autres musées en Arabie et au Kuwait. Il est aussi fondateur d’ARCADE ou Atelier de Recherche et de Communication sur l’Architecture Durable et l’Environnement. ARCADE est une plateforme de recherche et de publication sur l’architecture traditionnelle et contemporaine dans le monde arabe. Depuis sa création en 1976, ARCADE a bâti une librairie considérable d’images et de données sur l’architecture vernaculaire et contemporaine du monde arabe et de l’Afrique.

 

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