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VII : Rencontre avec Dr Mounia Chekhab-Abudaya

05/01/2019

Dr Mounia Chekhab-Abudaya est la conservatrice en charge de la collection de l’Occident Musulman au Musée d’Art Islamique de Doha (MIA). Spécialiste des manuscrits et des objets de dévotion des pèlerins du monde islamique, elle a rejoint l’équipe de conservateurs du MIA en 2012. A l’occasion des 10 ans de ce musée emblématique de la région, lors d’un entretien, l’historienne de l’art nous a livré sa perception sur le développement de la culture au Qatar, les enjeux liés à l’édification d’un nouveau musée au Moyen-Orient et son rôle en tant que conservatrice d’une des collections d’art des plus importantes de la région.


Le MIA de Doha fut le premier grand projet muséal du XXIème siècle au Moyen-Orient. Pouvez-vous revenir sur l’origine du musée ?
Le MIA a ouvert ses portes en 2008 et a fêté ses dix ans ce 22 Novembre. Le projet a émergé à la fin des années 1990 sur initiative du Cheikh Hamad qui tenait à constituer une collection d’art islamique dans un écrin architectural emblématique. A la base, un appel d’offre avait été lancé et un architecte libanais avait remporté le concours. Finalement, le concours a été annulé et le Qatar a fait une commission directe à l’architecte I.M. Pei. L’objectif était de constituer une collection nationale d’arts de l’Islam dans le cadre de la constitution de collections nationales diverses (art moderne, art contemporain, arts olympiques, photographie). Beaucoup de collections sont toujours en réserve et seront les musées de demain.

Les projets muséaux qui ont fleuri dans la péninsule arabique semblent avoir suivi un modèle érigé par le MIA : une collection doublée d’un projet architectural. Pensez-vous que le MIA est un musée précurseur ?
Il est évident que le MIA a permis de donner une impulsion pour la construction d’institutions culturelles d’un type nouveau, modernes et de développer une scène culturelle de plus en plus riche à Doha. Je pense que ce mouvement est plus complexe qu’une réponse à certains évènements politiques dans la région comme on peut souvent l’entendre. La création du MIA au Qatar a non seulement eu un impact dans la vie culturelle locale (à la fois pour les populations vivant au Qatar mais aussi les visiteurs externes) en raison de sa conception comme collection internationalement reconnue et du lancement de projets architecturaux novateurs dans la région. Dans cette lancée, de nombreuses autres institutions au Qatar suivent ce modèle d’innovation mais aussi dans d’autres pays de la région.

La collection des arts islamiques du MIA a fait la renommée du musée au cours de ces dix dernières années notamment grâce à d’importantes expositions. Quelle est votre vision au sein du département de conservation ?
Au sein du département de conservation dont je fais partie, nous proposons des sujets d’expositions qui comprennent parfois des prêts internationaux et traitons les demandes de prêt que nous recevons. Nous organisons au moins deux expositions temporaires par an pensées dans une stratégie triennale. Chaque année, nous organisons une exposition qui répond à un partenariat entre le Qatar et un autre pays. Par exemple l’année 2018 est consacrée à la Russie. Une autre exposition par an est développée sur un thème proposé par un conservateur. Enfin une dernière exposition plus petite et présentée au 4ème étage du musée tend à mettre en avant une thématique de la collection ou bien des œuvres méconnues. J’ai par exemple moi-même proposé une exposition sur les femmes Qajares qui a eu lieu en 2015. C’était une thématique très large sur laquelle nous disposions de beaucoup de documentation dans notre collection et nous avons pu aborder des thématiques très intéressantes telles que l’esthétisme, la mode etc. Nous avons la chance d’avoir une très grande liberté dans l’organisation des expositions.

En tant que conservatrice, quels sont les enjeux auxquels vous êtes confrontée au sein de la collection ?
Un de nos objectifs est de publier un catalogue par exposition, pas nécessairement académique, car il peut parfois s’agir de publications pour le grand public. Pour les femmes Qajares, je souhaitais publier un ouvrage plus académique. J’essaye également au maximum d’écrire des articles académiques sur la collection, de continuer mes recherches, cela ne rentre pas forcément dans l’actualité du musée mais plutôt dans mon rôle de conservatrice.

Alors que vous vous apprêtez à célébrer le dixième anniversaire du MIA et qu’au même moment Abu Dhabi fêtera le premier anniversaire du Louvre, comment percevez-vous le développement des musées dans la région ?
Je perçois qu’il y a une volonté de développer la culture et ceci en tirant par le haut. Je constate un vrai boom et un réel intérêt de la part des jeunes générations notamment dans le développement de cursus en histoire de l’art, beaucoup de jeunes qataris souhaitent devenir les acteurs culturels de demain. Malheureusement, il n’y toujours pas de programme doctoral et peu de programmes de master mais tout se fait progressivement. Je constate également que l’art contemporain a trouvé sa place dans le paysage culturel local et international. Il y a une volonté de l’intérieur de développer la culture et le pays tout comme nous souhaitons développer les expositions par les collections.

La critique interroge régulièrement les motivations pour la construction de musées dans le Golfe qui ne seraient destinés qu’à un public occidental, que répondez-vous à cet argument ?
Je ne suis pas d’accord avec ce point de vue puisque je constate par moi-même que les nouvelles générations qataries viennent au musée. Nous organisons des collaborations avec les universités, il existe des programmes de volontariat, et nous recevons des stagiaires. Nous avons également réalisé une exposition sur la collection privée d’armes islamiques d’un qatari qui a eu beaucoup de succès. Il est important de mettre les acteurs locaux en avant. Nous souhaitons être au plus proche des nationaux et pas uniquement des expatriés ou du public occidental. Sur les réseaux sociaux, le MIA reste la deuxième page Facebook la plus suivie pour un musée après le Louvre. Bien sûr, il y a toujours des efforts à faire mais il ne faut pas voir les choses de manière si manichéenne.

Pensez-vous que la multiplication des musées au Moyen-Orient est un phénomène de mode ou un changement structurel ?
Ce n’est que le début, j’ai lu qu’un nouveau musée a ouvert au Liban, d’autres qui ont fermés vont être rénovés, d’importants musées vont être développés en Egypte, au Qatar, aux Emirats ou en Arabie Saoudite, pour ne citer que quelques exemples. Il y encore beaucoup de projets à venir, les collectionneurs veulent également présenter leurs collections au public : ce n’est pas seulement une mode mais bien un changement dans la manière de penser les musées comme acteurs du développement culturel au Moyen-Orient et dans le monde arabe en général.
 


 


 

AUTEUR DU DOSSIER : Léa Vicente
 

Assistante de collection pour la fondation Dar El-Nimer à Beyrouth, Léa Vicente est diplômée d’un master en droit du patrimoine et du marché artistiques de l’Université́ Panthéon-Assas à Paris, elle est également spécialisée dans les arts de l’Islam grâce à l’obtention d’un Master 1 dans cette discipline de l’Université́ Paris-Sorbonne. Journaliste culturelle pour plusieurs médias français et libanais, elle est à l'affût des pratiques culturelles émergentes du monde arabe et observe avec attention leurs évolutions.


PHOTOS : Samir Nicolas Saddi
 

Samir Nicolas Saddi est architecte, photographe et chercheur avec plus de40ans d’expérience internationale (dont 25 ans passés dans plusieurs États du Golfe : Arabie, Qatar, Émirats, Kuwait...). Travaille depuis 2004 dans la gestion de projets de musées dont le Musée d’Art Islamique et le Musée National au Qatar, le Musée du Louvre Abu Dhabi, le Musée de la Monnaie de la Banque du Liban, le Grand Musée Egyptien ainsi que d’autres musées en Arabie et au Kuwait. Il est aussi fondateur d’ARCADE ou Atelier de Recherche et de Communication sur l’Architecture Durable et l’Environnement. ARCADE est une plateforme de recherche et de publication sur l’architecture traditionnelle et contemporaine dans le monde arabe. Depuis sa création en 1976, ARCADE a bâti une librairie considérable d’images et de données sur l’architecture vernaculaire et contemporaine du monde arabe et de l’Afrique.

 

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