A El Heri dans la région de Chekka, le 22 Septembre dernier, NABU MUSEUM ouvrait ses portes au public. Projet mystérieux attendu par le monde de l’art, ce dernier né s’étend sur une surface de 1500 m2 pensé par les artistes Mahmoud Obaidi et Dia Azzawi.
Fondé par l’entrepreneur et collectionneur Jawad Adra, avec la complicité de Badr El Hage et FidaJdeed, NABU Museum, nommé comme tel en hommage au dieu mésopotamien, phénicien et égyptien de la sagesse, propose une relecture de l’héritage libanais en confrontant une importante collection d’antiquités -comprenant certaines pièces datant de l’Age de Fer- et un accrochage d’œuvres d’art moderne et contemporain arabe. ‘‘Notre musée ne rentre pas dans une catégorisation théorique. Nous ne croyons pas en un choc de civilisation mais plutôt en une continuité. Nous voulons montrer que depuis 6000 ans, les civilisations tout comme l’art ont été continues’’ nous indique Jawad Adra. Ce parti pris original permet de réunir dans un même bâtiment deux des socles du patrimoine national pour engager une discussion autour de l’histoire libanaisede l’art, l’un des enjeux majeurs de l’édification de nouveaux musées. Alors que la critique et la théorisation n’existent que de manière limitée, ces nouveaux musées offrent l’opportunité de s’émanciper de narrations édulcorées, souvent restreintes à la préhistoire ou aux problématiques contemporaines omettant le tissage d’une histoire libanaise.
Une décennie après la conception des grands projets culturels de la région du golfe, le Liban entre à son tour dans son “ère des musées” avec des annonces qui défrayent les chroniques culturelles. Projets architecturaux hors normes à plusieurs millions de dollars, collections d’œuvres d’art vertigineuses, c’est une dizaine de musées qui devraient voir le jour au cours des dix prochaines années. Quand on sait que de nombreux libanais ont été impliqués dans l’édification des musées de la péninsule arabique ce phénomène n’a rien de surprenant. Dans un contexte politico-économique très distinct du Golfe, où les institutions sont largement soutenues par des fonds publics, l’ouverture de ces futurs musées, pour la plupart privés apparait comme une aubaine pour redynamiser une économie en berne. Chantiers de grande ampleur sur le moyen terme, expansion du secteur culturel et touristique, nombreux sont les arguments en faveur de la multiplication des musées.
Stratégie de communication ou bien utopie culturelle, faudrait-il y voir le reflet du mirage de la région du golfe où finalement peu de projets ont abouti après dix ans de conception ?
Peut-on vraiment s’arrêter à une comparaison de ces chantiers avec le boom culturel qu’a subi la péninsule arabique ? De manière formelle, certains projets montrent des similarités avec l’édification de musées pensés par des “starchitectes” occidentaux. C’est notamment le cas d’un futur musée de l’histoire de Beyrouth -le Beirut City Museum - dont la construction a été dévoilée par la Direction Générale des Antiquités. Dessiné par Renzo Piano sur commande de la société Solidere, ce musée-navire à l’extrémité de la place des martyrs, au pied du bâtiment de Annahar face à la mer verra le jour grâce à une dotation du fonds koweïtien.
Néanmoins, le Liban prouve son émancipation du modèle du golfe en défendant la construction de futurs musées pensés par les Libanais pour les Libanais. Ces projets prennent une dimension plus réaliste et se recentrent sur un impératif éducatif très fort. La préférence est donc faite aux antiquités mais aussi l’art moderne au même titre que la création contemporaine, qui forgent la fierté des Libanais pour leur patrimoine.
Afin de désamorcer toute spéculation concernant une potentielle date d’ouverture, le BeMA futur Beirut Museum of Modern Art, a décidé de débuter ses activités avant l’ouverture du musée. L’association APEAL - à l’initiative du musée - organise d’ores et déjà des résidences d’artistes, expositions ou encore commandes d’œuvres d’art en attendant la construction de son musée. Coup de théâtre, après deux ans de travail sur le projet, Hala Wardé, bras droit de Jean Nouvel sur le projet du Louvre Abu Dhabi, sélectionnée pour penser l’architecture de ce musée a révélé avoir été évincée. Se voulant une forme hybride entre un musée “vitrine” et un programme citoyen, ce projet emblématique entend devenir le musée pour les habitants de Beyrouth. Rita Nammour, directrice de l’association APEAL à l’initiative de ce musée nous indiquait lors d’un entretien : “Beaucoup de gens ont peur de l’art et pensent que c’est quelque chose d’inaccessible nous voulons rapprocher l’art des habitants de Beyrouth”. Le 19 Décembre, le BeMA annonçait la nomination de l'architecte Amal Andraos pour reprendre le projet qui devrait voir le jour en 2023.
Si les gros projets mentionnés ci-dessus captent l’attention de la critique internationale, il est important de souligner que l’expansion du monde culturel libanais se réalise à des échelles inférieures. Plusieurs projets de musées doivent également voir le jour. Un projet de musée de la francophonie à l’initiative de l’USJ devrait se concrétiser dans les années à venir. On peut constater un regain d’intérêt du public pour le patrimoine architectural et dans cette optique, le propriétaire de la célèbre maison rose de la Corniche a débuté des travaux de rénovation pour transformer ce lieu emblématique en musée.
Alors que l’on parle souvent d’un secteur culturel en crise quand bien même des institutions luttent pour ne pas fermer, il faut regarder au-delà des chiffres pour constater les changements structuraux et sociétaux que connaît le Liban dans son secteur culturel. Beyrouth capitale culturelle dans les années 2020 ? Peut-être une réalité plutôt qu’une utopie.
AUTEUR DU DOSSIER : Léa Vicente Assistante de collection pour la fondation Dar El-Nimer à Beyrouth, Léa Vicente est diplômée d’un master en droit du patrimoine et du marché artistiques de l’Université́ Panthéon-Assas à Paris, elle est également spécialisée dans les arts de l’Islam grâce à l’obtention d’un Master 1 dans cette discipline de l’Université́ Paris-Sorbonne. Journaliste culturelle pour plusieurs médias français et libanais, elle est à l'affût des pratiques culturelles émergentes du monde arabe et observe avec attention leurs évolutions. Samir Nicolas Saddi est architecte, photographe et chercheur avec plus de40ans d’expérience internationale (dont 25 ans passés dans plusieurs États du Golfe : Arabie, Qatar, Émirats, Kuwait...). Travaille depuis 2004 dans la gestion de projets de musées dont le Musée d’Art Islamique et le Musée National au Qatar, le Musée du Louvre Abu Dhabi, le Musée de la Monnaie de la Banque du Liban, le Grand Musée Egyptien ainsi que d’autres musées en Arabie et au Kuwait. Il est aussi fondateur d’ARCADE ou Atelier de Recherche et de Communication sur l’Architecture Durable et l’Environnement. ARCADE est une plateforme de recherche et de publication sur l’architecture traditionnelle et contemporaine dans le monde arabe. Depuis sa création en 1976, ARCADE a bâti une librairie considérable d’images et de données sur l’architecture vernaculaire et contemporaine du monde arabe et de l’Afrique. |
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