A travers un livre publié chez Kaph Books ‘Abandoned Dwelings : A History of Beirut’ et une exposition au musée Sursock, l'artiste et historien de l'art Gregory Buchakjian propose un travail documentaire méticuleux sur les maisons abandonnées de Beyrouth qu'il a photographiées et étudiées entre 2009 et 2016. Une enquête qui allie rigueur historique et proposition artistique.
Gregory Buchakjian mesure-t-il l'ampleur du projet qui l'attend lorsque fin 2009, à la veille du nouvel an, il photographie l'artiste Karen Klink vêtue d'une robe rouge dans les restes d'une maison abandonnée du quartier Zokak el-Blat. "A partir de ce jour, la maison et ses semblables me hantent, écrit-il dans ‘Abandoned Dwellings’. Entrer dans les lieux abandonnés et y faire des photographies devient un besoin que rien d'autre ne peut assouvir".
Entre 2009 et 2016, il réalise 10 000 clichés de repérage de 760 maisons abandonnées datant du XIXe siècle dans le secteur de Beyrouth. Une documentation gigantesque qu'il classe de façon obsessionnelle par quartier, secteur, immeuble puis par thématique architecturale à travers 180 occurrences telles que "façade à galerie", "créneaux", "cours", "façade à arche segmentée en trois parties".
Rapidement, il est rejoint dans sa lubie, qui n'est pas encore un projet à part entière, par la metteur en scène et auteure Valérie Cachard. Elle l'accompagne dans ses déambulations beyrouthines, lui fait visiter des maisons, ces ‘‘archives à ciel ouvert’’ écrit-elle dans la préface d'’Abandoned Dwellings’ dont elle a assuré la direction éditoriale. Avec elle, il commence à collecter des objets trouvés in situ : des journaux, de vieux posters jaunis, des photos ou des correspondances, ajoutant ainsi une troisième dimension à ses pérégrinations urbaines : cartographier, photographier et à présent collecter des archives.
Pour structurer son projet, Gregory Buchakjian, qui dirige l'école des arts visuels de l'Alba, se lance dans un projet de thèse avec l'université Paris IV en 2012 qu'il termine en 2016.
‘Abandoned Dwellings’ est la rencontre entre le fruit de cette thèse et un projet photographique.
Côté recherche, il s'intéresse aux mutations de ces lieux et leurs usages pendant la guerre en analysant la bataille des hôtels, la ligne de démarcation, les lieux d'incarcération et les différents usages parallèles de ces espaces allant du squat jusqu'à l'élevage de poulets et de lapins.
Côté artistique, le livre est ponctué de ‘tableaux photographiques’ tels qu’il les nomme : des portraits discrets de femmes évoluant dans le décor fantomatique de ces maisons abandonnées.
Dans l'exposition au musée Sursock, curaté par Karina El Helou, qui a travaillé entre autres sur l'exposition ‘Cycles of Collapsing Progress’ à la foire internationale d'Oscar Niemeyer à Tripoli en septembre dernier, on trouvera certaines de ses photos accompagnées d'un texte expliquant la découverte et l'histoire de chaque lieu ainsi qu'une vidéo mettant en scène les différentes découvertes d'objets de lors de leurs visites.
Pour passer sept ans sur un projet d'une telle envergure, il faut avoir quelque chose à dire sur soi-même. Gregory Buchakjian a quatre ans lorsqu' éclate la guerre. Ses souvenirs d'enfants ne sont donc pas ceux du Liban des cartes postales : ‘‘Un de mes plus anciens souvenirs est la vue de la carcasse noircie du Holiday Inn. Dans les moments d'accalmie, ma famille fréquente la plage du Saint-Georges depuis laquelle on jouit d'une vue imprenable sur les hôtels calcinés’’, écrit-il.
Le livre et l'exposition viennent parachever un cycle de réflexion mené depuis 2009.
L'auteur en a-t-il pour autant fini cette thématique ? Rien n'est moins sûr. Lors d'une présentation de leur travail au musée Sursock, Valérie Cachard et Gregory Buchakjian expliquaient travailler chacun sur un nouveau projet lié aux habitats abandonnés.
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