Une des rues les plus animées de Beyrouth est sans conteste la rue Hamra. Avant les années 50, l’espace qu’occupe actuellement le quartier était destiné à l’agriculture. Des figuiers de barbarie poussaient dans une terre rouge d’où le nom de la région. Avec l’extension de la ville et surtout grâce à l’Université américaine de Beyrouth située à proximité, les immeubles prolifèrent et, petit à petit, les terres agricoles reculent pour disparaître tout à fait dans les années 60. Hamra revêt alors un visage agréable, ludique et un peu primesautier. On y vient de partout pour s’amuser, flâner, et se distraire dans les nombreux cafés-trottoirs et cinémas qui fleurissent un peu partout. Le quartier, malgré son nom, n’a pas de couleur et sur les trottoirs on s’effleure, on se croise dans un joyeux mélange hétéroclite typique d’une ville comme Beyrouth. Point de rencontre des journalistes, intellectuels, cadres, artistes et commerçants, le quartier séduit également les banques qui s’y installent et les étrangers attirés par son caractère cosmopolite. La rue Hamra, avec son atmosphère si particulière, devient espace public, centre des affaires, espace touristique et carrefour des loisirs.
Parler de Hamra sans évoquer l’âge d’or du quartier dans les années 60 et 70 est quasiment impossible tant les noms mythiques sont encore ancrés dans les mémoires. Les cafés d’abord avec le Horseshoe, le Café de Paris, le Modca, l’Express dans lesquels idées de droite et idées de gauche s’affrontaient même si la rue est à sens unique. Les théâtres, comme le Picadilly, inauguré en novembre 1966, accueillaient les spectacles qui réunissaient le tout-Beyrouth. Enfin les salles de cinéma affichaient haut et en couleurs les films qui réunissaient les aficionados. Le cinéma Al-Hamra d’abord, inauguré en grande pompe en octobre 1957, puis le Clemenceau, le Colisée, le Saroulla et le Strand. Aujourd’hui, les cafés tels qu’on les concevait n’existent plus. Ils ont été remplacés par des boutiques d’habillement ou un autre genre de cafés à l’américaine avec une jeune clientèle composée d’étudiants. Les salles de cinéma sont fermées et les affiches ne colorent plus la rue. Mais Hamra reste Hamra et, depuis peu, un réel engouement pour le quartier s’est manifesté. Les restaurants et pubs ouvrent leurs portes les uns après les autres côtoyant les bars d’avant-guerre qui proposent, rue Makdessi notamment, des spectacles de danse un peu particuliers. Le Théâtre al Madina a investi l’ancienne salle du Saroulla et si le Café de Paris a rénové sa décoration il a gardé le même esprit. Tout n’est pas perdu donc et Hamra la Rouge se refait petit à petit une santé et une identité, différente certes mais qui reflète parfaitement le caractère moderne et traditionnel, pluriel et unique, festif et avant-gardiste du Beyrouth d’aujourd’hui.
Wardé Fawaz Loghmagi règne sur son petit monde dans son espace qui est devenu un lieu mythique. Les étrangers se pressent à Walimet Wardé, apprécient les plats du jour et toute une jeunesse branchée adore les soirées à thème. « Nous avons ouvert il y a quinze ans. J’adore cuisiner, surtout les recettes de ma mère. Mes spécialités sont les intestins farcis et les pieds de mouton. Avant de rentrer au Liban en 1991, nous étions en Afrique où je travaillais comme traiteur. Je suis tout de suite tombée amoureuse de cette vieille maison libanaise et je l’ai meublée avec des objets chinés à Basta. Mais je vais bientôt déménager puisque les propriétaires m’ont mise dehors, probablement avec l’intention de démolir la maison. J’ai trouvé un local dans la même rue et je vais m’efforcer de préserver la même atmosphère. »
Au début de l’artère, un espace protégé. L’église Saint François d’Assise de la congrégation des pères capucins jouxte un couvent et une école qui regroupe près de 800 élèves. Cette église, édifiée en 1939, a connu des jours meilleurs, du temps où les étrangers se pressaient sur le parvis pour assister à des messes en français. En 1958, l’abbé Pierre, de passage à Beyrouth, y officia. Le déclin a débuté en 1975 mais l’église et l’école n’ont jamais fermé leurs portes bien que souvent menacées dans un quartier qui a connu des heures chaudes. Aujourd’hui, les pères capucins s’occupent particulièrement de la communauté afro-asiatique pour qui l’église est un vrai refuge. Philippins, Sri Lankais et Indiens se réunissent tous les dimanches et assistent à l’office donné en anglais et en français par une religieuse philippine et un prêtre qui parle le hindi.
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