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BEYROUTH BY DAY: Kantari

07/04/2021|Tania Hadjithomas Mehanna

Les étudiants assis au soleil dans le jardin du très beau bâtiment du Collège Haїgazian discutent avec animation. Parlent-ils de cette formidable aventure qui a agité leur université quelque cinquante ans plus tôt ? En 1960, cinq ans après la fondation du collège, un professeur de sciences, Manoug Manoukian et onze de ses élèves fondent la H.C. Rocket Society. Objectif ? Lancer des fusées dans l’espace. Les recherches, en partie financées par Emile Boustany, aboutissent au lancement, en avril 1961, de Cedar I qui s’élèvera à 1000 mètres. Les débuts libanais de la conquête de l’espace atteindront leur consécration en novembre 1962 où Cedar III, une fusée à trois étages, s’élèvera à 180 km et franchira 425 km à la vitesse de 9000 km/h. Le lancement de Cedar IV à partir de Dbayeh donnera lieu à d’importantes festivités populaires en présence d’officiels libanais. L’aventure se poursuivra jusqu’en 1966 et sera consacrée dans l’histoire par un timbre émis à l’occasion du 21ème anniversaire de l’Indépendance en novembre 1964. 

 

D’où vient le nom Kantari ? Les versions diffèrent. Ce serait une famille, les Kantar, qui louaient des voitures d’attelage pour les personnes désireuses de se rendre aux souks. Mais on nous dit aussi que cela viendrait peut-être des kanater (arcades) qui ornaient les maisons cossues du quartier. Ce qui est sûr c’est que sa proximité avec les souks et sa situation privilégiée sur une légère colline font de Mazra’at el Qantari un des quartiers les plus prisés de Beyrouth. C’est dans les années 1920 à 1940 que les familles s’installent, que les belles maisons se construisent et que le quartier prend tout son essor de la rue Spears à la rue May Ziadé. Quartier mixte par excellence, Kantari a gardé une grande partie de son charme même si certaines rues présentent un aspect un peu délabré. Mais l’atmosphère est là, celle du Beyrouth d’avant-guerre. Les maisons sont encore belles à l’instar de la magnifique villa Kettaneh qui illumine la rue May Ziadé. Le palais présidentiel qui a abrité les présidents Béchara el Khoury et Camille Chamoun a été entièrement réhabilité par la Fondation Hariri. Il faut arpenter la rue Spears le nez levé pour ne pas rater les couleurs jaune et ocre des immeubles qui la bordent.

Le père Antoun Assaf officie à l’église Mar Elias el Kantari depuis l’an 2000. Cette belle bâtisse, édifiée en 1907, a été plusieurs fois réhabilitée mais c’est en 2001 qu’elle retrouve toute sa splendeur. Les façades sont ravalées, l’enduit à l’intérieur enlevé pour laisser place aux murs en grès, et les vitraux signés Jacques Guitton donnent à l’église un équilibre parfait entre modernité et tradition. Une annexe détruite par la guerre est reconstruite côté nord et la cloche sonne de nouveau pour le plus grand plaisir des habitués qui viennent encore tous les dimanches des quatre coins du Liban assister à la messe dans « leur » église et revoir leurs anciens voisins. Le père Antoun fait tout son possible pour rendre son église accueillante. Il s’occupe personnellement de chaque détail et surtout garde les portes ouvertes nuit et jour. Il a même conçu un site web pour parler des activités de la paroisse. 

 

Derrière les grands axes du quartier, dans un dédale de rues très pittoresques où se nichent encore de vieilles maisons, le moukhtar de Kantari, Mohammad Mahmoud Ghalayini est très attristé par la vente des propriétés. « Regardez la maison près de chez moi. Un film y a été tourné et Farid el Atrache en personne a emprunté l’escalier. Ils vont la démolir quand même, sans se soucier du patrimoine. Nous tirons la sonnette d’alarme ; les bâtiments sont classés et puis, grâce aux pistons, ils sont déclassés et vendus. On n’arrive à rien faire. Autour de moi, tout est condamné. C’est triste et je ne vois pas l’avenir de ce quartier où les familles vivaient ensemble dans un esprit de fraternité et de tolérance. C’est un quartier qui fait partie de la grande histoire. Le béton n’est pas tout. Ce sont les arbres et les escaliers qui font aussi l’âme de Beyrouth. »

Avec un sourire timide, Hajjé Ihsan agite la main du haut de son escalier en pierre et nous offre du café. Sa maison a plus de cent ans et, malgré son état de délabrement, présente encore des détails architecturaux intéressants. « Bien sûr que j’ai vendu. Je n’ai pas d’argent pour retaper et la maison tombe en ruines. On est une grande famille et il n’y avait pas d’autres solutions. Bien sûr qu’ils vont la démolir. On va partir. »

 

Le siège de la Croix-Rouge libanaise se trouve rue Spears. Fondé en 1920 en collaboration avec la Croix-Rouge française sous le nom de Croix-Rouge franco-libanaise, elle devient indépendante en 1945. La CRL sera reconnue d’utilité publique en 1946 et, l’année suivante, devient membre de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les notions de secourisme y sont enseignées dès 1952 et les premières équipes actives sont formées en 1963. La banque du sang est fondée en 1964. La guerre civile met la CRL sur le devant de la scène avec, souvent, des belligérants qui ne respectent rien. Douze martyrs tombent victimes de la barbarie, quatre-vingts secouristes sont blessés et deux d’entre eux kidnappés et portés disparus. Mais, jamais, la CRL n’a failli à son devoir et demeure jusqu’à aujourd’hui au service de la société civile avec un dévouement exemplaire. Hommage…

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