Comme Mar Elias, Mar Maroun, Mar Mikhaël ou encore Saint-Nicolas, le quartier de Mar Mitr doit son nom à un saint vénéré par les chrétiens, saint Dimitri,qui mourut en martyr en 303. Et ce quartier, situé au cœur de la colline d’Achrafieh, présente, à qui veut bien les découvrir, plusieurs visages qui, sans se contredire, s’accordent en toute harmonie. D’abord le visage sérieux et gai des nombreuses écoles qui déversent grappes d’élèves et savoir diffus. Les sœurs de la Charité, l’école des pères lazaristes, l’école des Trois Docteurs, Zahrat el Ihsan, s’établissent tour à tour sur ce qui n’était d’abord qu’un lieu privilégié de villégiature. Ensuite le cimetière imposant et familier et les églises dont les chants religieux bercent parfois le trafic et enfin les dizaines de petits commerces qui donnent une légitimité appropriée aux piétons de la ville. 

C’est sur la colline verte et parsemée de petites maisons bucoliques qu’est déplacé au début du XIXe siècle le cimetière orthodoxe qui occupait une partie du jardin de la cathédrale Saint-Georges du centre-ville. Ce qui n’était qu’« une chapelle grecque entourée de jardins où l’on arrive en suivant des chemins étroits et raboteux, bordés de haies, de grenadiers, de cactus et de bois d’oliviers », comme l’écrit John Carne dans son livre Syrian, the Holy land and Asia Minor paru en 1836, comprend aujourd’hui une église, un bâtiment annexe et quelques appartements. Saint-Dimitri s’est peu à peu étendu et les allées claires et dégagées encadrent des tombes qui sont parfois de véritables monuments finement ciselés. Aujourd’hui, l’extension est définitivement freinée par la construction d’espaces commerciaux. Lors des travaux d’excavation pratiqués en janvier 2001 sur le terrain jouxtant le cimetière, des cuves funéraires datant de l’époque romaine ont été découvertes, ce qui a conforté les archéologues dans leur certitude que la colline d’Achrafieh était bien le cimetière de la Berytus romaine. Des sarcophages en pierre avaient également été découverts près du collège La Sagesse ainsi que dans la montée Accaoui. Malheureusement, les archéologues n’ont pu mener à terme leurs fouilles près du cimetière, le béton a été coulé sur l’histoire et le passé définitivement enterré. 

Sur la petite route qui surplombe le cimetière, une belle bâtisse qui est aujourd’hui le siège de l’association Caritas, porte sur ses murs une inscription en marbre blanc. « Le poète Alphonse de Lamartine résida en cette propriété de septembre 1832 à avril 1833. Sa fille Julia y décéda le 2 décembre 1832. » Attirés par le Levant qui devint une destination privilégiée après l’expédition napoléonienne de 1798, artistes, hommes de lettres ou hommes de sciences succombèrent à l’engouement et à l’attrait de ces voyages en Orient. Parmi les plus illustres des voyageurs de l’époque, Alphonse de Lamartine passa sept mois au Liban. Il espérait par ce voyage voir guérir sa fille Julia atteinte de tuberculose. Malheureusement, la petite fille âgée de 11 ans ne tarda pas à mourir et c’est un Lamartine exalté par la douleur qui exprima ses émotions dans son célèbre ouvrage Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient. Parlant de Mar Mitr, il décrit « un couvent grec qui montre ses murailles blanches et ses dômes bleus ».

Spiridon Abou Samra est heureux tant qu’il travaille dans son jardin où trône un olivier centenaire. En plein cœur de Mar Mitr, il suffit juste de pousser la porte d’une petite cour pour découvrir tout l’univers de ce vieux monsieur au sourire espiègle. Menuisier mais aussi plombier et maître maçon, il bricole encore et ses 89 ans ne l’empêchent pas d’aller compter tous les matins les œufs frais que lui offrent ses nombreuses poules. Il arrose son jardin, nettoie son poulailler, coupe du bois pour l’hiver et profite du soleil généreux. Il est chez lui depuis 1919 et, en nous offrant deux œufs tout frais pondus, rit de notre étonnement de croiser encore des « Spiridon dans leur jardin champêtre » dans la touffeur mécanique des grandes artères de Beyrouth.