Animé et digne, le quartier de Moussaitbeh recèle des merveilles d’architectures qu’il est important de préserver. Les habitants le savent et indiquent volontiers les palais à visiter absolument. En face de la maison des Salam, pivot central du quartier, la mosquée, qui date de 1884, déverse son lot de fidèles sous les chants du muezzin. Moussaitbeh vient de mastaba ou plateau, en élévation par rapport à la ville et qui servait de lieu de résidence aux émirs et sultans qui appréciaient la brise fraîche qui berce cette colline. Aujourd’hui, c’est un vent de nostalgie qui plane sur Moussaitbeh, l’un des plus vieux quartiers de Beyrouth qui abrite encore les familles orthodoxes et sunnites de la capitale, venues s’installer là dans les années 20 et 30 dans des maisons traditionnelles avec jardin où il faisait bon vivre.
Le moukhtar de Moussaitbeh, Mohammed Ali Anouti, déplore la destruction des vieilles demeures. « Beaucoup de familles sont parties à cause de la guerre et les maisons sont délaissées. Il y a aussi souvent trop d’héritiers et comment alors partager un palais ? Des erreurs sont commises et la notion de patrimoine ne veut plus rien dire. C’est peut-être inéluctable pour toutes les grandes villes. Il y a cependant des choses qui ne changent pas, comme le principe de coexistence. Ici, à Moussaitbeh, toutes les confessions se retrouvent encore et il y aquinze maires : deux chiites, trois grecs-orthodoxes, un druze et neuf sunnites. Je fais le lien entre eux tous. La cohabitation se passe bien. Tout le monde se respecte. Il y a encore cet esprit de convivialité qui caractérisait le quartier. Les gens se connaissent, se parlent, se visitent. »
Moukhtar est un terme difficile à traduire en français. Ce n’est pas tout à fait un maire, encore moins un chef de clan mais plutôt une sorte de boussole du quartier ou de la rue. Figure incontournable, le moukhtar est en fait indispensable à la bonne marche de la ville. Un même quartier accueille plusieurs makhatir (pluriel de moukhtar) qui ont leurs fidèles. On ira chez le moukhtar, qui occupe en général un bureau ayant pignon sur rue, pour demander son avis, un conseil judicieux, son appui pour une démarche administrative, sa présence à un événement, son arbitrage en cas de litige. Ou tout simplement pour boire un café, échanger ses désillusions sur les temps qui ne sont plus, évoquer les souvenirs et se tenir au courant des nouvelles de ceux qui sont partis. Elu ou désigné, le moukhtar est celui que l’on consulte, celui que l’on respecte et sa disponibilité lui assure sa popularité.
Une toute petite boutique coincée parmi tant d’autres vend là, paraît-il, les meilleures olives de la région. Omar Basbous est consciencieux. Cela fait vingt-six ans qu’il vend des olives vertes et noires et de l’huile qu’il prépare encore suivant les méthodes traditionnelles de pression. Il achète ses olives à différents agriculteurs du nord et de Hasbaya, les lave ensuite à froid et les presse dans la région du Koura. Il n’a pas assez d’argent pour enregistrer sa marque « mais, ce n’est pas grave, dit-il, les gens nous connaissent. Et puis chaque année pour Ramadan on baisse nos prix. C’est un geste pour nos clients. Si certains sont issus de la bourgeoisie, d’autres n’ont pas beaucoup de moyens. Heureusement les olives font partie du menu sur chaque table libanaise et les nôtres ont le bon goût des olives d’antan. »
Plus bas vers Wata Moussaitbé en bordure de Mar Elias, il fait encore beau et le café s’est transposé à l’extérieur. Entre les jeux de tawlé et la fumée des narguilés qui dissipe les soucis, l’atmosphère est celle de tous les cafés de Beyrouth, hauts lieux de complicité où l’on fait parfois de la philosophie sans le savoir. Derrière sa longue moustache, Selman Abou Mejahed dissimule un sourire amusé. Ce vénérable druze de 80 ans est fidèle à son quartier depuis plus de soixante ans. « Mes parents ont quitté le jabal pour venir s’installer là. Il y a de tout dans ce quartier. Toutes les confessions et toutes les nationalités. D’ailleurs les majoritaires ici sont… les Sri Lankais ! Beyrouth est multicolore, c’est pour cela que je l’aime. On se respecte tous. Wata veut dire bas, c’est la région la plus basse de la ville. Les eaux s’y accumulent, causent des inondations et on déplore souvent des victimes mais l’État nous a promis d’arranger ça, n’est-ce pas ? »
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