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Camille Ammoun face à notre subsidence

21/09/2023|Maya Trad

 

C’est donc à l’instar de Boris Cyrulnik qui a popularisé la notion de résilience que Camille Ammoun emprunte à la science son lexique. Mais si la résilience est un terme positif qui met en avant notre capacité à retrouver notre forme d’origine après un choc, la subsidence elle, inversement, est un lent et irrévocable processus d’affaissement, sans aucun retour possible à la forme initiale. C’est cette image là que l’auteur choisit pour décrire l’état du Liban suite aux traumas accumulés strate après strate à la fois au niveau de la ville et des individus. 

Subsidence est le 3ème opus de la nouvelle collection des Éditions Terre Urbaine : Dérives Urbaines. Ces carnets sensibles au format court, 48 pages, avec pour titre un seul mot, suivent un dispositif littéraire basé sur le texte et l’image et font ressortir la sensibilité liée à un certain espace. Camille Ammoun n’en est pas à son premier livre. Il est l’auteur d’un roman (Ougarit, 2019), d’un récit (Octobre Liban, 2020) et de « Silo » un texte de fiction sur l’explosion du port de Beyrouth paru dans un ouvrage collectif (Ce qui nous arrive, 2020), tous trois publiés aux Éditions Inculte. 

La psychogéographie est un néologisme créé dans les années 50 par Guy Debord, un écrivain situationniste d’inspiration marxiste qui, à travers sa réflexion urbaine se propose d’étudier la manière dont le milieu géographique agit sur nos émotions et nos comportements. Le terme a évolué, se transformant dans les années 90 en pratique littéraire qui consiste à marcher pour écrire et transcrire un texte urbain en texte littéraire. 

 

Dans Octobre Liban, Camille Ammoun s’en inspire directement. Il évoque d’ailleurs à souhait l’auteur britannique Ian Sinclair, qui a écrit en 2016 un énorme ouvrage de 600 pages « London orbital » basé sur sa longue traversée du périphérique Londonien et où il dénonce l’ultralibéralisme des années Thatcher. 

Dans le format court de Subsidence, Camille Ammoun imagine une femme de 50 ans, Sarah Saporta, géologue et conférencière de renom qui se prépare à donner une grande conférence à Copenhague pour parler de la subsidence urbaine. Car nous ne le savions peut-être pas, mais c’est près de 150 villes dans plus de 50 pays dans le monde qui sont confrontés à ce phénomène géologique irréversible (Venise, Mexico, Jakarta, Kiruna…). 

Or si partout les villes s’enfoncent, victimes de l’anthropocène, l’affaissement de Beyrouth n’est quant à lui pas un phénomène géologique. Camille Ammoun apporte une digression à son récit pour nous faire entrer dans les pensées de son personnage qui, au cours de son exposé, et lors de sa rencontre avec le spécialiste de la Grande Barrière de Manhattan, ouvrage dont le but est de protéger la ville de New York de la montée du niveau des océans, propose de sortir la subsidence du champ de la géologie pour lui permettre de décrire des phénomènes humains. Le personnage du livre se laisse aller à ses pensées sur Beyrouth. Car à Beyrouth, ce ne sont pas les sols qui s’affaissent mais tout le tissu social, urbain, et humain, à l’image de ces 6 monuments architecturaux qui viennent illustrer les dernières pages de l’ouvrage par des photos prise par l’auteur : La tour Murr, l’Oeuf, le Holiday Inn, les tétrapodes de Dalieh, les silos, le bâtiment de la compagnie Électricité du Liban … « Ce sont des monuments mémoriels que tous les libanais connaissent intimement. Leur abandon, leur décomposition, leur dérive font maintenant partie du quotidien de leur paysage urbain. Ils sont le résultat de naufrages successifs. Ces épaves urbaines évoquent la subsidence de la ville de Beyrouth » nous dit Camille Ammoun. « Le tissu urbain de Beyrouth est parsemé d’épaves qui hantent les mémoires de la ville » .

 

Beyrouth s’est toujours perçue comme résiliente, mais l’auteur en brosse un portrait inverse, et l’explosion du 4 Aout serait le point d’inflexion où le mythe de la résilience ne peut plus être opérant. Pour lui, la subsidence de Beyrouth n’est pas géologique, elle est sociale, économique, politique, psychique, humaine en somme. Ce phénomène est irrévocable, implacable et irréversible. « La subsidence est irrémédiable dans le sens où elle exclut toute possibilité de résilience. Elle s’applique tant au niveau individuel que collectif, psychique que physiologique, urbain que systémique (…) La subsidence, c’est la débâcle de la durabilité, c’est le contraire de la résilience » dit Sarah Saporta, le personnage du livre lors de son grand discours. 

 

Pour l’auteur, « C’est une proposition, ouverte au débat ». Il en parlera durant des tables rondes auxquelles il participe durant le Festival Beyrouth Livres (du 2 au 8 Octobre). Une exposition de ses photos d’épaves beyrouthines se tiendra aussi sur le campus de l’ESA les samedi 7 et dimanche 8 octobre. 

Camille Ammoun

 

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