Quand elle était encore toute jeune, j’ai emmené ma fille Nour à Tripoli pour visiter la forteresse St Gilles. S’étant alors docilement laissée emmener dans la capitale du Nord, quel ne fut pas sa colère en arrivant “au château”. D’air un furieux elle me regarde et me dit : « où sont les meubles ? Les tapis ? Les princesses ? »
Elle ne décolérait pas.
Dans le cadre de nos recherches pour notre site web/guide de tourisme BAM (qui sera prêt fin 2022) nous partons en vadrouille sur tout le territoire libanais pour aller vérifier sur le terrain nos informations.
Temples, forteresses, musées, cours d’eau, moulins, nous allons avec Leslie, Nadine et Elie visiter et parfois dénicher tous ces lieux.
Et souvent, trop souvent en les découvrant je pense à ma fille et j’ai envie de crier tout haut ma frustration en disant : mais où est l’entretien ? Mais pourquoi est-ce si sale ? Pourquoi est-ce abandonné et l’accès dangereux, pourquoi les tags sur les murs ? Pourquoi les chichas dans une forteresse croisée ? Et la liste est longue.
L’abattement prend vite la place de la colère et on se résigne au fait que notre richesse, notre patrimoine, notre histoire va à vau l’eau pour les mêmes raisons que notre état n’existe presque plus. Quand trouver un papier A4 dans une administration relève du miracle et que la population passe par tous les degrés de l’enfer, on ne peut pas demander d’allouer des sommes immenses pour sauver une citadelle, un moulin ou un pont.
Et puis les visites reprennent, on fait de la route, des paysages fabuleux nous sont dévoilés virage après virage. Des vallons rieurs, des cours d’eau timides ou fougueux, des vallées sages et profondes, des parcs de rochers à l’allure fière, des forêts de pins parasols iconiques et puis la laideur d’habitations négligées, de poubelles envahissant rues et vestiges, de monuments abandonnés dans la décrépitude.
Un goût de gâchis. Un incommensurable gâchis. Nous avons l’impression de conjuguer notre patrimoine au passé, notre histoire au passé. Ne prévaut plus que le strict minimum dans l’insalubrité et dans le délitement.
Quand on sait que certains des principaux gardiens de ce patrimoine, que sont la directrice des musées nationaux, le directeur de la bibliothèque nationale et feu le directeur du conservatoire ne reçoivent plus leur salaire depuis 4 ans sans aucune explication, que leurs fonctionnaires touchent 1.3M on ne peut plus que se taire. Et de guerre lasse, pour documenter notre guide, on se contente de mieux cadrer la photo, de zoomer sur un petit coin du vestige et on écrit un texte au passé.
Je sais qu’il y a tant de priorités, tant d’actions à entreprendre pour améliorer la qualité de vie de nos concitoyens, mais tirons quand même une sonnette d’alarme, que dis-je une sirène tonitruante d’alarme pour attirer l’attention sur notre patrimoine si riche et si abandonné !
Sur ce petit bout de terre ensanglanté, vibrant, intense, torturé, et explosant d’autant de drames que de joie de vivre, l’Histoire est une épopée vivante. Nous nous devons de protéger ce patrimoine pour passer le relais aux futurs enfants de cette terre millénaire.
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