Écriture sous IA, place à l’Expérimentation avec Pascal Mougin
27/09/2023|Maya Trad
On peut dire que dans le processus de création littéraire, l’inspiration d’un auteur est toujours sous influence, étant donné qu’elle se nourrit et est générée par une infinité de facteurs conscients ou inconscients, internes ou externes à l’auteur. « Je » est un autre disait Rimbaud, dans le sens où plusieurs voix résonneraient dans l’écrivain quand il écrit. Si l’on extrapole cette idée jusqu’au champ de l’Intelligence artificielle, nous pourrions nous poser la question avec Pascal Mougin, invité au Festival Beyrouth Livres, si Chat GPT peut représenter « cet autre-là » et s’interroger avec lui sur les enjeux d’une production littéraire avec son aide.
Que vaudrait un livre qui a pour nom d’auteur ChatGPT ? Serait-il le nouveau « nègre » des temps modernes ? Peut-on parler de vraie créativité artificielle, ou est-ce seulement un simulacre ? Remplacera-t-il les auteurs en manque d’inspiration ou en panne d’écriture ? Peut-il être un compagnon d’écriture pour les écrivains qui sauraient apprendre à l’utiliser de manière à stimuler leur propre créativité ? Mais dans ce cas qui serait le véritable auteur du livre, l’homme ou la machine ? Autant de questions qui soulèvent un véritable débat et une vaste réflexion pratique et existentielle que va aborder Pascal Mougin lors d’une séance inédite d’écriture à l’ESA, dimanche 8 octobre. Professeur de littérature française contemporaine à l’université de Paris Cité, et spécialiste des liens entre littérature et numérique, il proposera à des auteurs (Monique Proulx, Charif Majdalani, Charlotte Moundlic, Sofia Karampali Farhat) de se livrer concrètement à l’exercice et de co-écrire un texte de fiction avec ChatGPT. Cet exercice pratique leur permettra d’évaluer cette nouvelle manière d’écrire.
Dans ces travaux et dans les nombreuses conférences qu’il a déjà animées, Pascal Mougin nous parle du rapport de l’homme avec la machine, rapport qui n’est pas né d’aujourd’hui. Nous sommes déjà des êtres augmentés à partir du moment de l’utilisation du premier outil créé. « L’homme engendré par ses propres artéfacts techniques est déjà un post humain depuis qu’il a taillé le premier silex ». Mais le mythe de la machine qui remplacerait l’homme qui existait déjà dans l’imaginaire collectif depuis la première révolution industrielle atteint aujourd’hui son paroxysme avec l’IA. Or aujourd’hui si l’usage de l’IA se démocratise dans de nombreuses sphères de l’Art, il reste nous dit-il un domaine tabou dans lequel la réticence reste forte, celui de la création littéraire. Cette littérature de la sous-traitance ou du « faire écrire » qui reste encore idéologiquement disqualifiée aux yeux des puristes est toutefois en train de voir le jour au même titre peut-être qu’un nouveau mouvement littéraire comme l’ont été de leur temps les mouvements expérimentaux de l’écriture automatique, du surréalisme ou de Loulipo pour ne prendre que ces exemples-là.
En effet, nous dit Mougin, en matière de création « artificielle » le monde de l’Art visuel a déjà beaucoup d’avance sur celui de la littérature et ceci depuis les débuts de la photographie dès 1860 où la création est assistée par une machine. On parle ainsi de création Achéiropoeïde, dans le sens où une œuvre d’art n’est pas directement produite par la main de l’artiste. Ainsi si le champ de l’art a déjà assimilé la notion d’œuvre artificielle, elle relevait encore jusqu’à aujourd’hui en littérature du domaine de la fiction. Dans ses voyages, Gulliver aurait imaginé « la machine à créer des histoires » et il y aurait eu dès le 20ème siècle des tentatives de littérature générées, mais cela restait un imaginaire de la délégation de la production où l’homme fabrique le robot qui produit l’œuvre comme « auteur de l’auteur ». Aujourd’hui, avec la puissance de l’IA on assiste à un infléchissement et on peut réellement parler de littérature co-écrite avec la machine. Ainsi la finalité du recours à la machine ne serait pas d’imiter, mais d’inventer une littérature que l’homme ne pourrait pas produire seul. Il s’agirait d’une véritable créativité collaborative.
Au final, si nous acceptons l’idée que le processus de création d’un roman, qu’il soit de « fabrication » purement humaine ou alors avec la collaboration d’une Intelligence artificielle, demeure quelque chose qui ne se commande jamais vraiment, et que le roman qui en sort aura son existence propre et qu’en quelque sorte n’appartiendra plus à l’auteur… nous pourrons volontiers faire place à l’Expérimentation et conclure sur une phrase de Belanger que cite Mougin : « Quand j’écris c’est comme si je domestiquais ma propre intelligence artificielle. Et peu importe qu’elle soit dans mon cerveau ou dans un serveur. L’essentiel, après tout, c’est que nous nous entendions bien. »
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