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« Ennemi du peuple » : Les mots, instrument de pouvoir

21/11/2023|Nelly Helou

« Ennemi du peuple » est une œuvre théâtrale mise en scène et dirigée par Lucien Bourjeily à partir de la pièce de théâtre du célèbre auteur norvégien Henrik Ibsen (1828-1906). Traduite en libanais par Nada Saab et produite par Farah Shaer, elle est basée sur une adaptation du dramaturge Arthur Miller, et réalisée sous la forme d’une promenade immersive au sein du prestigieux campus de l’Université américaine de Beyrouth (AUB).

N’hésitez pas ! Allez voir cette pièce. Elle vous accrochera par son texte, les dilemmes sociaux humains qu’elle soulève, par le pouvoir des mots et par sa mise en scène originale. 

 

Cette œuvre puissante d’Ibsen, décrit un drame social en cinq actes, qui peut se présenter en tout temps et en tout lieu. Publiée en 1882 elle est jouée pour la première fois en janvier 1883 à Oslo et demeure d’actualité de nos jours. 

Le récit : le docteur Thomas Stockmann médecin dans une petite ville réputée par sa station thermale qui attire les touristes, découvre que l’eau des bains qui alimente aussi le village est polluée à cause d’une tannerie locale. L’analyse scientifique ayant confirmé la présence de bactéries nocives dans l’eau, le médecin soucieux de la santé publique, décide d’en informer ses concitoyens. Soutenu par le journal local, par la classe moyenne, et de multiples appuis, il est vivement désavoué par son frère Peter qui est le maire du village et président de la société des bains et veut absolument empêcher cette publication. Fort de son pouvoir, le maire met tout son poids pour imposer le mutisme à son frère, et déploie toutes sortes d’arguments pour y parvenir. A ses côtés, ceux qui veulent préserver leur autorité et protéger leurs finances, montent aux créneaux. Ils invoquent la perspective de longs travaux coûteux pour nettoyer les eaux dont il en découlera la fermeture des bains, l’absence des touristes qui faisaient la prospérité du village. On assiste alors à des retournements de comportements en chaîne, y compris au niveau du journal local, ce qui déstabilise la population et fausse le jeu démocratique. Imperturbable docteur Thomas campe sur ses positions appuyées par sa femme et sa fille aînée et le capitaine du bateau. Lors d’une rencontre publique, il est accusé d’être l’ennemi du peuple. Excédé, déçu par ses concitoyens il clame « oui je suis un ennemi du peuple ». D’où le titre de l’œuvre. 

La pièce met en jeu la parole quand elle n’est plus rien qu’un instrument de pouvoir. Quelle vérité est dicible, qui en décide et à quelles fins? Les concepts de liberté, d’intégrité, de moralité, de modération, de pudeur, de radicalisme… changent au gré des intérêts personnels ou collectifs, de l’autorité, du pouvoir et de l’argent.... 

 

Importance de la mise en scène 

L’originalité de cette, pièce, qui se joue pour la troisième semaine à l’AUB les 21, 22, 24 et 25 à 20h00 avec une ou deux matinées à 16h00 est dans sa mise en scène sous forme d’un théâtre immersif. La pièce commence à partir du Main Gate de l’université, où les spectateurs sont accueillis par des étudiants de la faculté des Arts et Sciences. Puis par petits groupes on traverse de belles allées boisées du campus où l’on croise des personnes ici et là installées au bord du chemin qui nous interpellent disant « bienvenue aux touristes » comme si on se promenait dans un village. Un joueur de Oud nous accompagne tout au long du parcours, jusqu’à une grande place en son milieu un arbre majestueux, ou l’on s’installe en demi-cercle autour de la scène.

Nous sommes face à la terrasse du docteur Thomas qui vient de recevoir les résultats de l’examen des eaux et qui est déterminé à les publier. Il est intéressant alors de noter que tous les personnages de la pièce vont paraître à tour de rôle dans ce premier acte et la plupart appuient la décision du médecin. Mais par la suite ils changent leur fusil d’épaule et tiennent des propos totalement contradictoires qu’ils cherchent à justifier. 

On se déplace ensuite vers d’autres scènes à l’extérieur ou à l’intérieur du campus. Et chaque étape renforce en nous un sentiment de proximité et de communion avec les acteurs, avec le scénario comme si on vivait pour de vrai dans un village où se déroule le drame. 

 

Interview de Lucien Bourjeily

Pour en savoir plus sur cette expérience théâtrale nous avons demandé à son metteur en scène Lucien Bourjeily, qui a plusieurs œuvres remarquables à son actif dans le monde du théâtre et du cinéma, de nous en parler.

 

Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette œuvre ? 

L'idée de présenter "Un ennemi du peuple" d'Ibsen m'a initialement été proposée par mon collègue à l'AUB, le professeur Robert Myers (producteur exécutif et dramaturge de la pièce), et m'a immédiatement enthousiasmée. J'ai tout de suite ressenti que cette pièce serait très pertinente au Liban en 2023, bien qu'elle ait été écrite par Henrik Ibsen il y a plus de 140 ans, en 1882. La résonance intemporelle de ses thématiques, éclairant les conflits moraux et éthiques, offre une exploration profonde des méandres de la vérité, du sacrifice personnel et de la lutte individuelle contre le pouvoir collectif, des thèmes qui me touchent personnellement. J'ai pressenti qu'ils toucheraient également le public libanais, qui ressent pleinement les conséquences de ces dilemmes depuis des années.

 

Avez-vous modifié le texte initial d’Ibsen?

Dans l'adaptation de la pièce, j'ai pris la décision de condenser le texte afin de l'ajuster au format immersif de la promenade, ainsi qu'aux espaces extérieurs et intérieurs choisis pour la représentation. Cette démarche visait à garantir une fluidité parfaite dans le déroulement de l'expérience théâtrale au sein du magnifique campus de l'AUB, qui représente le village dans le contexte de la pièce. En plus de ces ajustements structurels, l'adaptation de la pièce a également été orientée vers une résonance plus profonde en arabe, cherchant ainsi à établir une connexion plus intime avec le public local. Des scènes de transition liées au village ont été ajoutées pour renforcer l'intégration de l'œuvre dans le format immersif, créant ainsi une expérience théâtrale authentique et captivante. Tout en préservant l'essence originale d'Ibsen, ces modifications ont été pensées pour permettre à la pièce de s'épanouir pleinement dans son nouveau cadre immersif.

 

Précisément, pourquoi le choix de présenter l’œuvre sous le format immersif?

En tant qu'enseignant de théâtre à l'AUB, tout comme Robert Myers, nous avons découvert ces magnifiques bâtiments historiques, datant de la même époque que la pièce que nous allions interpréter. Bien que la pièce aurait pu être mise en scène dans un village, nous avons réalisé que l'AUB offre un cadre unique, avec des édifices historiques évoquant le même contexte temporel que celui de la pièce. Cette synchronicité a donné naissance à l'idée de créer une expérience immersive, permettant au public de ressentir l'atmosphère du village tout en étant au cœur de la ville, dans un lieu chargé d'authenticité, offrant ainsi une expérience théâtrale singulière.

 

Quelle a été la réaction des spectateurs ? 

Depuis la première nuit, on a vite réalisé que la pièce réussissait à captiver les spectateurs, car elle suscitait après toutes les performances, des discussions très intéressantes et très animées sur les dilemmes éthiques exposés.

 

Quid des acteurs ?

La pièce est un mélange d'acteurs chevronnés du théâtre (comme Ziad Najjar, Abdelrahim Al-Awji, Hisham Khaddaj, et Farah Shaer), de nouveaux talents (comme Manuel Barakat, Majd Al Masri, Helen Shaaban, Elie El Haddad, et Georges Aghniadis), et d'étudiants à l'AUB, créant une dynamique artistique stimulante. Cet amalgame ajoute une couche de complexité aux personnages, offrant une gamme riche d'interprétations et renforçant la portée universelle de la pièce.

 

Votre message ? 

Comme dans la plupart des pièces que j'ai réalisées avant, mon intention est de faire du théâtre une force motrice pour la réflexion sociale. J'espère que cette œuvre aussi puisse remettre en question les normes établies en invitant le public à explorer la nuance des dilemmes humains au sein de la collectivité.

 

Pour en savoir plus, cliquez ici

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