« J’apprends avec une immense tristesse la disparition d’Etel Adnan. Cette âme poétique et colorée, d’une extrême douceur, chantait nos souffrances, nos joies et nos amours. Elle était une artiste rare et complète, au talent étincelant de vie et d’une intelligence chatoyante. Cette voyageuse hors du commun nous faisait vibrer par des rimes audacieuses venant des quatre coins de la Méditerranée.
Célébrant aussi bien le texte que l’image, cette artiste accomplie écrivait dans une infinité de langages. Avec ses leporellos, ses livres en accordéon, elle reconstruisait le monde avec d’autres formes, des supports plus poétiques, telles des rivières de mots. Ces ponctuations de couleurs, ces rythmes dansants et ces calligraphies en mouvement perpétuel sont de purs instants de lyrisme joyeux, proches d’une partition musicale.
Par sa curiosité et son talent d’observatrice remarquable et sensible, elle explorait les sentiments d’errance de l’homme, sa légèreté et ses exils successifs. Etel Adnan portait un regard original sur notre monde et sur la nature. Elle voyait dans la mer et la montagne, le visage le plus durable et constant de l’homme. Depuis son Olympe, sa Montagne Sainte Victoire, son cher Mont Tamalpaïs où l’inspiration lui était soufflée, elle nous invitait à la suivre dans son univers, sa quête, son voyage.
Elle refusait de regarder les événements de l’histoire de sa fenêtre. Artiste engagée, représentante des plus importantes de la modernité arabe, éprise de liberté, elle n'a cessé d'épouser la cause des peuples opprimés dans leurs luttes et leurs déchirements. A la seule force de ses mots, elle s'engageait contre les guerres, militait pour les causes indienne et palestinienne, luttait contre la guerre civile qui enflamma son Liban natal.
À l’Institut du monde arabe, où j’ai d’ailleurs eu la chance de la décorer Chevalier des Arts et des Lettres, j’ai pris l’initiative de présenter son œuvre magique pour une première grande rétrospective en 2016. Ainsi pour la première fois, à Paris, cette figure lumineuse, ardente et humble était présentée dans un écrin à sa hauteur. Rendons-lui hommage aujourd’hui. Je me joins à la tristesse de sa compagne, elle aussi une grande et fabuleuse artiste, Simone Fattal. Seuls ses mots peignent avec perfection l’absence, son absence qui nous laisse sans voix.
« Un jour, le soleil ne se lèvera pas à son heure, alors le jour
ne sera pas. Et en l’absence de jour, il n’y aura pas de nuit
non plus. Ainsi, la Révélation se sera accomplie. »
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