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Indépendance. Je ne serais pas là où vous m’attendez

21/11/2019|Nicole V.Hamouche

Mardi 19 Novembre, le temps semblait s’étirer. On perd la notion du temps dans une révolution quelle qu’elle soit; de 8h à 14h  mardi 19  dans la rue. Passionnant et angoissant tout à la fois, car on sait que l’on participe à quelque chose de grand qui se joue et que l’on a choisi de jouer mais aussi parce que les méthodes coercitives et dissuasives du passé sont encore à nos esprits. Et s’ils retournaient leurs armes, leurs sbires, leurs « abadays » contre nous ?

 

Et ils ne manquent pas de le faire ; des tirs pour faire peur – les balles auraient pu atteindre quiconque –  des chars militaires qui passent en tombre comme s’ils allaient en guerre, des quatre- quatre ou  autres voitures aux verres fumés qui foncent dans les manifestants, des députés à mobylette derrière leurs  féroces poilus. C’est sans doute pour cette raison qu’il y a ce jour- là pourtant crucial  – en ce qu’il s’agit de faire passer la loi d’amnistie générale –  beaucoup moins de monde dans les rues que le dimanche qui précède. Il y  en aura ceci dit suffisamment, et les plus volontaristes, les plus engagés et les plus passionnés pour faire échouer la session parlementaire. Célébration, même si ce n’est que le début du chemin.  L’enjeu, énorme,  intimait d’être présent au rendez-vous, dès les premières heures.  Il nous faudra l’être  aussi aux rendez-vous à venir. Manquer les rendez-vous, c’est finalement manquer l’histoire/l’Histoire.

 

Il est vrai que la prégnance de l’Etat policier, services de renseignement motards  ici et là,  et  regards scrutateurs, prenant en photos et filmant ouvertement pour intimider, ne rassurent pas mais ne font  que confirmer par ailleurs, encore et encore, la raison d’être de cette révolution. L’intimidation est l’arme des faibles.  Derrière la télé ou les verres fumés, on a plus peur car on fantasme ; et ce n’est pas le réel. C’est dans la rue, qu’on prend le pouls du changement ; qu’on prend le pouls du réel. Descendre dans la rue ; abandonner les écrans, les barricades, les comptoirs. Même si ce n’est pas tous les jours, mais descendre pour voir la pauvreté, pour voir le désarroi, pour voir le combat pour la vie, pour voir la passion, pour voir l’espoir, pour voir qui nous entoure, pour voir où nous vivons…  “Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches et plonger ses deux mains dans la vie jusqu’au cou”, écrit Anouilh.   La révolution rappelle la force du présent ; elle intime de se rendre présent à ce qui se joue, à ce qui appelle notre attention et qui s’inscrit dans une vision plus large. Une rencontre avec Fawaz Traboulsi a lieu sous une tente Place des Martyrs, samedi en fin de journée. En temps normal, on aurait eu envie de se prélasser chez soi ou auprès d’un ami, mais ce n’est pas un samedi banal. C’est un samedi de révolution. Le moment appelle de sortir de soi. Nous découvrons un homme que beaucoup connaissaient et que nous avons la chance d’écouter dans la rue, d’une façon si informelle, à même les tapis. Ce professeur d’histoire, penseur et écrivain d’un certain âge, ne craint pas les mots et ne fait pas de démagogie, il a suffisamment de crédibilité pour se permettre les mots qu’il pense, en toute douceur. Il invite à l’exercice de la pensée, pour que « cette révolution ne serve pas au final que la littérature ou le cinéma». « Ne dites plus, nous ne voulons pas de partis, pas de politique ». La politique passe par des structures organisées, des partis  et par du travail, beaucoup de travail, dans la durée. Traboulsi lance quelques pistes concrètes de réflexion. J’en retrouve presque le goût de la chose publique, que j’avais clairement par le passé et qui m’a petit à petit abandonné au fil des indifférences et nonchalances.  J’attends ainsi le vendredi de l’indépendance avec curiosité. Il y a un an, ce jour de l’indépendance n’avait rien à voir avec ce vendredi à venir. On osera méditer tous ensemble Place des Martyrs  avec des bougies. Combien serons- nous ? Ils seraient nombreux à venir d’Europe et d’ailleurs, spécialement pour ce jour.  Pour célébrer, pour se célébrer.  Il y a un an le jour de l’indépendance, jour de fête,  n’avait en rien le goût que j’en attendais, pas celui de la célébration qu’il aurait pu avoir. Je voulais croire plutôt que de douter ; mais la confiance est un crédit qui tarit quand on tire sans cesse dessus, exactement comme la dette publique. Cette fête d’indépendance est la fête de la clarté – même si elle fait mal aux yeux –  et de l’interdépendance. Enfin, nous comprenons tous combien nos destins sont liés. Cette fête d’indépendance est le début d’un voyage, de cette irréversibilité ou en tous cas de la direction que cette révolution a déclenchée. Celle de ne pas être là où on nous attendait. Pas cette année. Celle que nous écrivons nous-mêmes avec nos pieds, avec nos mains, avec le cœur qu’on n’a pas pu nous prendre, celle qui n’est pas usurpée par les forces du  passé. Celles-ci ne voyaient que calcul, avantages et chantages ; ne voulaient pas de pathos… Il y eut du pathos, il y a des sentiments et c’est tant mieux et il y aura du calcul, car oui les chiffres ne pardonnent pas.



Lire la suite: https://libnanews.com/independance-je-ne-serais-pas-la-ou-vous-mattendez/« L’émerveillement – et la libération – viennent en découvrant que le premier pas de chaque choix n’est pas d’atteindre l’objectif, mais d’accepter le changement qu’il porte avec lui. » La part du Héros, Andrea Marcolongo

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