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Lancement du livre ‘Avant d’oublier’ de Georges Boustany

02/12/2019|-

Votre livre est le recueil des articles que vous publiez depuis 2017 dans l'Orient-le-jour sous la rubrique, « La carte du tendre ». Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette rubrique ?

Il y a deux joies qui motivent tout collectionneur : celle de chiner, bien entendu, qui donne cette poussée d’adrénaline quand on trouve la perle rare. Mais aussi celle de montrer sa prise et d’épater son public, car après tout à quoi cela sert-il d’accumuler des documents parfois historiques ou artistiquement remarquables si c’est pour les cacher au fond d’une cave ? 

C’est donc pour les montrer que j’ai commencé par publier certaines images avec des commentaires succincts sur ma page Facebook puis sur mon compte Instagram, et mon public, c’était une bande de collectionneurs excentriques (Gaby Daher, Imad Kozem, Camille Tarazi, Fadi Ghazzaoui, Léa Paulikevitch, Lina Ezzedine, Marc Chelhot pour n’en citer que quelques-uns). Mais très vite je me suis rendu compte que beaucoup de gens que je ne connaissais même pas étaient passionnés par les images d’un monde révolu. J’ai donc proposé à mes amis de L’Orient-Le Jour d’en faire une petite rubrique un samedi sur deux, composée d’une photo et d’une petite légende. L’idée a plu à Michel Touma qui m’a ouvert l’accès aux colonnes du journal. Mon autre passion étant l’écriture, je me suis pris au jeu et la petite rubrique du départ est devenue un article d’un millier de mots qui me prend des heures de travail et que je compose avec délice.

 

Dans quelle mesure êtes-vous nostalgique ?  Êtes-vous un nostalgique heureux ou amer ? 

C’est une grande question, que j’ai traitée dans un article paru dans L’Orient-Le Jour le 9 novembre dernier : « Ils ont tué la nostalgie ». Est-ce qu’il y a vraiment lieu d’être nostalgique et de quoi exactement ? 

Oui, je suis suffisamment nostalgique pour m’imaginer, à travers les photos, en photographe regardant et immortalisant les scènes que je décris dans mes textes. Et oui, il est certain que, comparée au temps présent dont on dirait qu’il est un véritable remake des dix plaies d’Egypte, l’époque dépeinte par mes photos apparaît comme un “âge d’or” et du reste je cite souvent ces mots dans mes textes. 

Cela dit, le concept est à nuancer : je crois que le Liban n’a jamais vraiment connu un âge d’or comparable aux “Trente Glorieuses” de la France d’après-guerre par exemple, ou alors c’était vraiment furtif. Je consulte très souvent les archives que L’Orient-Le Jour, en la personne de Michel Hélou, a très généreusement mis à ma disposition : il n’y a jamais vraiment eu de décennie sans problèmes, avec un peuple béat de bonheur. Il y a toujours eu des assassins et des victimes. Des accidents et des suicides. Des corrompus abusant de leur parcelle de pouvoir et des gens honnêtes sans travail qui choisissaient d’émigrer ou de se rebeller. Des disputes et des affrontements. Des questions existentielles. Je me suis même rendu compte d’un fait terrible : aucun Libanais n’a jamais vécu une vie entière sans avoir à subir une guerre ou en tout cas des soubresauts graves. Même quelqu’un qui serait né avec le Grand Liban, en 1920, n’aurait que 55 ans en 1975 au moment de l’éclatement de la guerre de quinze ans. Je ne suis donc pas nostalgique d’une époque, mais plutôt d’une ambiance particulière à un moment donné, et c’est ce qui fait toute la beauté de ces photos. A les regarder, on finit par comprendre que le bonheur est fait de moments furtifs qu’il faut capturer avant qu’ils ne passent et c’est ce que je fais en m’immergeant dans ces photos. 

Quant à savoir si je suis un « nostalgique heureux ou amer », la réponse est dans mes textes : les deux à la fois. Heureux car je retrouve là un Liban rêvé, un Liban échappatoire, c’est mon petit univers privé qui me permet d’oublier les angoisses du présent. Amer aussi, car l’on voit bien que le Liban de papa est définitivement perdu et qu’il va falloir en inventer un autre et c’est une entreprise gigantesque qui engloutira sans doute les efforts de plusieurs générations. 

 

 

A la lumière de ces récits d’un autre temps, comment voyez-vous l’évolution du Liban ?

Il est certain que rien ne dure dans notre pays : ni la pierre ni les hommes et encore moins les idées. Comme le dit Philippe Aractingi, un Libanais qui a cinquante ans aujourd’hui a connu cinq versions différentes du Liban : celle d’avant-guerre, celle de la guerre, celle d’après-guerre avec le déblaiement des ruines, celle de la reconstruction et celle d’aujourd’hui avec un clientélisme débridé et sans scrupules. Ce qui est sûr, c’est que le beau pays des années 1930 est mort à tout jamais. Mais depuis le 17 octobre, tous les espoirs sont permis : le sens civique s’est finalement installé dans toutes les têtes et les Libanais sont en train de dépasser leurs clivages traditionnels. Entre une époque où les Libanais n’étaient pas d’accord entre eux sur le pays dans lequel ils voulaient vivre et une époque où l’écrasante majorité a opté pour le Liban comme patrie définitive, je préfère notre époque, en espérant que nous saurons surmonter la crise économique qui s’annonce et rattraper l’énorme retard accumulé en terme de développement. Il est donc urgent que ce beau mouvement révolutionnaire, qui est sur le point de nous faire vivre une « sixième version du Liban », porte ses fruits aussi vite que possible. 

 

Avec vous un récit coup de cœur ? 

Oui, une histoire qui se poursuit jusqu’à maintenant. Il y a deux ans, je tombe sur un paquet de négatifs appartenant à une même famille, dont je scanne les plus beaux. Je les ai tellement regardés que suis devenu leur parent, quelque part. En 2017, je publie une de leurs photos. Puis une autre l’été dernier. Et là, surprise : une dame me contacte en me disant que la femme qui figure sur la photo est une amie à elle qui vit à Los Angeles et qui rentre au Liban pour quelques jours, comme par hasard le samedi suivant ! C’est ainsi que je rencontre Carmen Der Garabédian, qui me raconte l’histoire de sa famille, et je comprends que ces négatifs, que je lui rends finalement, ont disparu lors du pillage de leur appartement de Zokak el-Blat en 1975, au tout début de la guerre. Mieux encore, en faisant connaissance avec le reste de la famille, Camille Tarazi et moi-même nous apercevons qu’ils ont un parent de renom, mort il y a vingt ans et presque tombé dans l’oubli de nos jours : Serge Sassouni, qui n’est autre que l’architecte designer des Caves du Roy à Beyrouth et dans le monde, ainsi que du Casino du Liban et de l’hôtel Alcazar des Tarazi, pour ne citer que les plus emblématiques. Serge se trouve être aussi le beau-frère de Carmen… Une histoire incroyable qui se poursuit avec la mise en contact de Maral et Garo, les neveux de Serge, avec Delphine Darmency, ce qui va permettre d’enrichir l’exposition que celle-ci prépare sur les Caves du Roy (avril 2020) et, cerise sur le gâteau, de référencer les incroyables archives de Serge exhumées dans son grenier à Los Angeles…  

 

Pensez-vous que dans 50 ans vos enfants écriront des articles sur les moments que l’on vit aujourd’hui avec la même nostalgie que dans vos articles actuels ?

Sincèrement, je le crains. On aura beau dire que cette époque est horrible et que nous vivons la fin du monde, avec toutes les angoisses qui vont avec, ce n’est encore rien comparé aux récits calamiteux que l’on nous promet pour la fin de ce siècle : bouleversements climatiques, montée du niveau des mers, inondations, guerres pour l’eau potable, pollution, etc. Ce qui me rassure, c’est que toutes les prévisions cataclysmiques ne se sont jamais vraiment réalisées. Mais il est certain que nos enfants connaîtront le dénouement de nos angoisses d’aujourd’hui et les relativiseront, comme nous le faisons pour celles de nos parents. Le passé sera toujours plus rassurant que l’avenir et la nostalgie une source inépuisable de réconfort... 

 

 

A savoir

Signature le jeudi 12 décembre de 18 à 21h à la villa Quantum, rue Sursock. 

 

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