Ecouter Jean Marie Baron raconter la vie de son père François Baron, c’est comme remonter les rives d’un autre temps, du Paris des années 20 aux dernières années des comptoirs français en Inde en passant par le ralliement des Résistants à Londres, plusieurs temps donc, plusieurs rives, dans lesquels son récit, Le fils du gouverneur se déploie.
Il commence par me montrer un cliché pris par Man Ray en 1924, la photo historique de la centrale surréaliste qui officialise le mouvement et sur lequel apparaît, debout entre Queneau, Baron, Naville, Breton, Boiffard, Chirico, Vitrac, Eluard, Soupault, Desnos et Aragon … son père François Baron. Quand et comment cette photo a été faite ? Alors que les monuments aux morts trônent sur les places des mairies, se tient le 14 avril 1921, la réunion d’un petit groupe de jeunes gens qui « conspuaient la bourgeoisie de laquelle ils étaient issus » qui se réunissent ce jour-là au Square saint Julien le pauvre en face de notre Dame avec l’intention folle de bouleverser les valeurs pour aller, comme Rimbaud « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Jean Marie Baron nous embarque dans ce Paris mythique tel que Woody Allen l’aura rendu à l’écran dans Midnight in Paris. Ces années 20, si bouillonnantes de l’entre deux, qui ont fait souffler sur le charnier de la grande guerre la poésie surréaliste d’un groupe de poètes révolutionnaires. Il raconte comment son père « dont curieusement aucun poème n’avait été jusque-là publié » les aura côtoyé de très près, vivant, buvant et partageant l’amitié profonde et indéfectible de ces artistes et poètes qui ont fait le siècle. Il laissera un livre « les frontières du Bonheur » pour témoigner de cette période foisonnante. « Le surréalisme n’était pas pour nous une chapelle littéraire, mais une éthique et une amitié ». De ces amitiés-là, Robert Desnos lui dédiera son long poème de 550 vers, La nuit des nuits sans amour ( The night of loveless night), mais quelques années plus tard alors qu’Aragon dit au groupe « Désormais il faut brûler nos poèmes et aller chercher l’aventure ailleurs », des vents nouveaux appellent Francois Baron vers d’autres horizons à tout juste 27 ans.
Ainsi, ayant complété sa licence de droit d’Ecole coloniale, il obtiendra en 1927 son premier poste d’administrateur des colonies à Dakkar, puis au Niger loin de Paris dont les échos ne cessent de lui parvenir par son jeune frère Jacques qui continue de fréquenter les surréalistes.
Une dizaine d’année plus tard, il est nommé Gouverneur sur les bords les plus sacré des fleuves dans un des 5 comptoirs français d’Inde, Chandernagor d’abord, Pondichéry ensuite. C’est une nouvelle aventure où la fascination de l’Inde l’emporte ouvrant la porte sur un nouveau chapitre de la vie de son père, spirituelle cette fois, vu que sa route croisera celle de Sri Aurobindo qui deviendra son maître à penser.
Plus que de raconter un parcours jalonné des grands moments historiques du 20eme siècle, et qui rend compte de la carrière de cet homme qui aura été administrateur de colonies en Afrique, et dernier gouverneur de Pondichéry avant de revenir s’installer à Paris en 1950, date où lui-même vient au monde, c’est un hommage plein de tendresse et d’admiration que Jean-Marie Baron rend ici à cet homme que fut son père, et à sa vie foisonnante, empreinte à la fois de légèreté et de profondeur, de séduction et d’engagement.
L’engagement c’est bien sur celui de la Résistance, car du fond de son Inde anglaise, sur un poste grésillant de la BBC, il est le premier français à répondre à l’appel du Général de Gaulle, par un télégramme dont Jean Lacouture confirmera que c’était bien le premier. Baron n’attendait qu’une chose, pouvoir le rejoindre à Londres, mais de Gaulle le charge alors délégué général de la France libre pour l’extrême-Orient. Et ce n’est qu’en 1943 qu’enfin il rejoindra Londres, l’année à laquelle son ami de toujours, Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon débarquent eux aussi pour s’allier à la Résistance. C’est là que s’écriront les belles paroles de l’hymne emblématique du Chant des partisans sur un air et des paroles Russe d’Anna Marly. Ce soir là aussi, Baron était de la partie, au cours de la soirée où Kessel et Druon adaptent en français, ces paroles galvanisantes et engagées qui depuis sont fredonnées sur toutes les lèvres. « Ami entends, tu ? » ce sera aussi le premier livre que Jean-Marie Baron écrira à la suite de longues entrevues avec Kessel dont il s’est toujours senti le filleul.
C’est une sorte de carnet de voyage entremêlés, où Jean-Marie Baron raconte avec simplicité et tendresse ce lien filial nourri de poésie et porté par le souci de rendre hommage à travers les histoires de son père, à toute une génération, celle qui fut appelée la génération du siècle.
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