Jacques Liger-Belair est parti.
Encore une fois.
Il était le frère aîné de ma mère. Entre eux, il y avait Claude. Tous les deux, les frères, sont devenus architectes. Et tous les deux se sont nourris de voyages et d’horizons lointains.
Quand j’étais enfant, je voyais Jacques comme un patriarche fougueux. Un berger exalté. Il a toujours eu cette gestuelle bien à lui, rapide et volubile, barbe respectable et mèches au vent. Il dégageait, naturellement, un enthousiasme contagieux.
Les deux frères, nos deux oncles, nous racontaient souvent leur voyage. Avant ma naissance. Une sorte de tour du monde inconscient à bord d’une 2cv. Jusqu’en Inde, ils ont été. À une époque où le voyage tenait encore de l’exploration, où le danger était réel et les moyens de communication inexistants.
J’ai encore dans la tête, aujourd’hui, des images générées par ces histoires qu’ils nous confiaient. Elles sont imprimées au plus profond de moi. Sans doute ne pensaient-ils qu’à nous distraire, nous les enfants, alors qu’en réalité, ils me marquaient à jamais. Ils me modelaient.
Ils étaient mes héros. Je voulais être eux, plus tard. Pas architecte, non (je n’aimais pas assez l’école), mais voyageur et raconteur.
C’est durant ce périple pour moi mythique que Jacques est tombé amoureux du Liban. Plus tard, il a décidé d’y retourner, de s’y établir. Claude, lui, a choisi le Canada.
Pendant ce temps-là, ma mère, restée en Belgique, fautait. Elle n’avait pas vingt ans et venait de mettre un bébé au monde, un petit garçon issu d’une union désapprouvée par la morale et la famille. On lui a demandé d’aller rejoindre son frère au Liban, au moins pendant un temps, histoire de se faire oublier. Loin des yeux, loin des rumeurs…
Elle a voyagé à son tour, pour se rapprocher de Jacques.
C’est là qu’elle a rencontré mon père.
Si je vis aujourd’hui, c’est grâce à l’amour que portait Jacques pour le Liban, son pays d’adoption. Je dois mon existence, en partie, à ce voyage qu’il effectua jeune homme, avec son frère. Rien d’étonnant, me direz-vous, que les racontards de mes oncles aient tant résonné en moi quand j’étais enfant. Encore fallait-il que les narrateurs aient le talent nécessaire pour porter haut leurs récits. Et ils l’avaient, vous pouvez me croire.
Jacques était un merveilleux conteur.
La vie a coulé. Nous ne nous sommes pas beaucoup fréquentés durant longtemps. Il était loin – au Liban la plupart du temps – et, de mon côté, je n’avais gardé aucun lien avec ce pays qui m’a vu naître. Et puis, ces dernières années, nous nous étions rapprochés. Nous nous appelions régulièrement. Surtout depuis que j’avais décidé, voilà environ trois ans, de revenir aux sources de mon enfance, de redécouvrir mon pays d’origine.
Je l’ai beaucoup interrogé.
Il m’a beaucoup raconté.
À mon retour, je lui relatais mon voyage, mes impressions, dont il était friand. Les rôles s’étaient inversés : j’étais devenu le conteur et lui l’oreille avide.
J’ai découvert ses œuvres sur le tard, les nombreuses traces qu’il laisse aujourd’hui au Liban. J’ai rencontré des gens qui l’ont connu, apprécié, admiré.
J’ai pris conscience, à ce moment-là, de la place qu’il occupait dans ce pays qu’il avait choisi et qu’il n’a jamais cessé d’aimer.
J’ai réalisé, aussi, la place qu’il prenait chez moi. Et le vide qu’il va laisser.
Tu es parti, Jacques.
Encore une fois.
Quand on se retrouvera, un jour, ailleurs, je compte sur toi pour me servir de guide. Et me faire voyager, encore.
Me raconter d’autres horizons lointains.
ARTICLES SIMILAIRES
« The School of Life » ou le camp d’été transformatif
Nadine Fardon
19/06/2024
De miel et de lait, une histoire douceur du Liban
Garance Fontenette
09/04/2024
Levanthym, le zaatar haute couture de Sarah Kanj
Noha BAZ
08/04/2024
Iwan Maktabi à la biennale Design Doha
Jasmine Karkafi
06/04/2024
‘A Amal, le feuilleton coup de poing, coup de gueule
Gisèle Kayata Eid
06/04/2024
Rendez-vous pour la première édition du « Beauty and Wellbeing Forum 2024 ». Une nouvelle approche holistique de la santé
04/04/2024
Une approche holistique de la vie
04/04/2024
La Pro Art Academy célèbre la créativité des enfants
Garance Fontenette
29/03/2024
Je vous écris du Caire : L'éclosion soufie du Ramadan
Léa Samara
26/03/2024
Jérusalem, la ville de tous les désirs
26/03/2024