Un ouvrage qui m’avait retenue par la description indirecte mais constante de cet environnement anxiogène dans lequel nous évoluons, et qui bascule bien vite dans la peur de la violence omniprésente des temps modernes.
Romancière, philosophe et scénariste, Mazarine Pingeot est l’auteure d’une quinzaine de livres, mais c’est aussi l’administratrice de la fondation François Mitterrand, ce président de la République française qui a gardé secrète l’existence de sa fille naturelle jusqu’en 1994. Elle avait alors 20 ans. Femme accomplie aujourd’hui, la romancière semble avoir gardé vivace en elle la loi du silence. Quelques-uns de ses titres sont sans équivoque : « Bouche cousue », « Bon petit soldat », « La dictature de la transparence », « Se taire ».
C’est dans ce même registre des non-dits que son dernier roman se situe. Elle y raconte les états d’âme d’une quadra, en continu au bord de la crise de nerfs, habitée par une peur intérieure, une imminence perpétuelle d’un danger latent.
Une fiction qui tourne autour de la dépression, qui vrille et visse son lecteur dans un tourbillon dont on ignore sa justification exacte, mais qui transcende les sociétés pour être quasi-universel, comme l’atteste cet extrait qui pourrait très bien s’appliquer à la conjoncture libanaise : « N’empêche, ce n’était pas si bête de brandir la révolution. Ça résumait tout. Plus personne ne se révolte, ou bien certains, mais on dirait que c’est leur métier… Enfin quelqu’un va dire que ce n’est plus possible. Enfin quelqu’un n’accepte plus. Dit non. Dit : Pourquoi accepter l’impuissance ? Et puis elle n’a plus pu les suivre. Ils n’ont pas su transformer l’essai. Ils ont donné un nom et une explication à « Ce n’est plus possible », ils ont mis du contenu dans « Ce n’est plus possible ». Tout ce qui leur tombait sous la main…. Ils se sont crus tout-puissants. Ils ont laissé s’échapper la flamme. »
Un livre sur l’angoisse d’un entre-soi, celle des femmes contemporaines écartelées entre les blessures d’enfance et la vacuité de leur vie : « Elle est la victime d’un système absurde qui crée de l’impuissance. Elle en connaît le mécanisme par cœur, ils ont écrit des articles sur le sujet dans le journal, ils en parlent entre eux : pas de sujet plus débattu. Même leur souffrance a fait l’objet d’une théorie, ils sont les individus des statistiques, les courbes dominantes, ils sont ces points qui constituent la ligne, objets d’une vision globale, d’une rationalisation du système et de ses dommages collatéraux, d’une pensée sociologique, politique et économique, ils sont des items, des données, des ressources humaines, ils sont comptabilisés, reconnus comme les éléments d’une variante, ils sont comme les autres, chiffrés et prévisibles. Leur chute est déjà programmée, leur suicide peut être affiché comme une probabilité statistique. Leur souffrance est prévue dans les calculs…C’est une souffrance récupérée par les instituts de sondage. »
Une souffrance omniprésente et qui tourne aussi un peu en rond.
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