Attention. Ne vous méprenez pas. Peut-être que l’histoire des Rolling Stones ne vous intéresse pas. Toutefois un conseil : ne lâchez pas ce roman si vous décidez de découvrir le Prix Renaudot 2022. Il est tout simplement fascinant.
L’histoire est à la fois double et unique. C’est celle d’un écrivain en déclin qui vit une passion brûlante avec sa belle-fille de 50 ans sa cadette, invité à écrire, pour une mini-série, un épisode de la vie des Rolling Stones.
On pourrait se passer des recherches et des éléments biographiques du groupe rock et se contenter de l’aventure romanesque de l’écrivain septuagénaire qui vit avec la fille de son ex- femme une relation incestueuse qui lui donne mauvaise conscience. Mais c’est la construction magistrale en miroir du roman qui est captivante. Avec brio, Liberati intercale les péripéties de la trahison d’un membre du groupe (la rupture d’Anita Pallenberg qui quitte Brian Jones pour Keith Richards), avec celle de son vécu amoureux, intense et inespéré, tant il est puissant et fragile… pour aboutir quasiment à vivre en personne la fin tragique de son scénario.
Avec une fluidité remarquable, le lecteur passe d’une histoire à l’autre au travers desquelles le narrateur nous livre ses comparaisons entre l’esthétique des sixties-seventies et l’esprit moderne actuel : « dans ma tâche, le plus difficile était d’arriver à désengager mes personnages de la croûte conventionnelle et tartufe de la société moderne »; le tout desservi par une écriture à la fois poétique, osée, désespérée, philosophe, acerbe ou désabusée… mais sans aucune compromission autant sur la réalité de l’adultère, que sur les excès de toutes sortes.
On appréciera bien entendu la culture littéraire exceptionnelle de ce « vieillard » qui a brûlé la chandelle par les deux bouts « Après presque soixante ans d’exercice, je m’émerveillais de constater une nouvelle fois l’infinie variété des gestes amoureux », qui n’est pas près de lâcher malgré sa condition physique qui se détériore de jour en jour.
Au-delà de la virtuosité de la plume de l’auteur, c’est surtout, entre fiction et réalité, l’authenticité des états d’âme de son héros qui nous touchent : l’angoisse de cet homme qui retrouve une nouvelle jeunesse mais qui vit dans l’angoisse de perdre sa nymphette, vouée (forcément) à d’autres amants et vies futures; la mort qui rôde et qui s’annonce tranquillement « Je pris les joues d’Esther dans mes mains et je la regardai dans les yeux comme si j’avais pu y aspirer la vie qui m’échappait »; l’insaisissabilité des jours qui passent « Était-ce donc cela, la vie ? Courir le monde, s’endurcir, se croire à l’abri des terreurs enfantines, le regretter parfois et puis y retomber sans crier gare ? »
L’auteur fasciné par les années 1960, récipiendaire du Prix Femina 2011 pour « Jayne Mansfield 1967 » signe avec « Performance » un roman poignant et très beau dans lequel espoir et désespoir cheminent, portés par l’urgence implacable de fin de vie.
ARTICLES SIMILAIRES
Lecture 79 : Ketty Rouf, Mère absolument
Gisèle Kayata Eid
11/04/2024
Brigitte Labbé et les Goûters philo
Zeina Saleh Kayali
08/04/2024
« Profession Bonniche », la romance pour dire l'indicible
01/04/2024
Lecture 78 : Atlas du Moyen-Orient, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud
Gisèle Kayata Eid
28/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Charif Majdalani
22/03/2024
Lecture 77 : Vent du Nord, Antoine Daher
Gisèle Kayata Eid
13/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Michèle Gharios
09/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Bruno Tabbal
06/03/2024
Lecture 75 : Triste Tigre, Neige Sinno
Gisèle Kayata Eid
29/02/2024
Les brésiliens-libanais au Liban
28/02/2024