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Lecture 41 : Claudie Hunzinger, Un chien à ma table

09/02/2023|Gisèle Kayata Eid

On ne peut pas aborder le Prix Femina 2022 en s’imaginant lire une histoire, ni comprendre un problème, ni s’émouvoir ou se renseigner sur quelque chose ou quelqu’un. Ce n’est ni un récit, ni un roman d’amour, ni un poème au sens strict. Ce n’est pas non plus un essai, ni futuriste, ni passéiste... C’est une sorte d’ouvrage qui vous retourne de fond en comble. Toujours limite entre l’imaginaire et le réel, autant déroutante que captivante, l’artiste plasticienne chevronnée dans l’étude des herbes nous livre dans son dernier ouvrage un peu de tout ça. 

 

Le thème du livre ne se résume tout simplement pas. Il y a bien sûr la chienne Yes qui vient s’installer dans une maison nichée au bout de la forêt, recueillie par un vieux couple retranché du monde et heureux de l’être. Lui dans ses livres, elle, en osmose avec sa prairie, ses herbes et tous les animaux qui l’entourent. Ils ont bien sûr un regard désenchanté sur le monde.  J’ignorais que ce 20 juin, le drame était arrivé... à midi, le lendemain, apporté par le facteur : L’EXTINCTION ANIMALE DE MASSE EST EN COURS ... au moment où la lumière avait atteint son point culminant, d’un coup le monde s’était assombri. »   

 

Le lecteur est invité à parcourir avec l’auteure de 82 ans (qui éprouve la satisfaction de battre la vieillesse qui lui « a semblé devenir une sorte d’expédition en zone inconnue ») un semblant de journal à travers lequel les jours et les saisons sont consignés, ainsi que des descriptions luxuriantes et des questionnements sur la création, sur les petits êtres, des raisonnements philosophiques concernant la nature humaine... Sophie, l’avatar de Claudie nous plonge au cœur de son environnement végétal et animal avec lequel elle se confond jusqu’à sentir une intimité profonde, existentielle, notamment avec son chien. « Face au monde animal, je me sens du même bord. Et très rassurée de l’être. C’est à un tel point qu’il m’arrive vis-à-vis d’un humain, de me réfugier dans le regard du chien qui l’accompagne... avec lequel elle se retrouve ... en connexion immédiate et totale ».

 

Auprès de nombreuses réflexions sur la frontière entre les espèces : « Je suis sûre d’être née avec le désir à jamais de rejoindre la densité brute et brûlante, épaisse et délicate, légère et taciturne, toute dans l’émotion de vivre, dans la sensation de survivre, d’être là, dans ce qui exulte ou qui tremble, qui m’entoure sans la moindre altérité », on trouve des références culturelles de l’écri-vaine (comme elle se définit), mais aussi l’amour retrouvé entre les deux ermites « j’étais émue de trouver le corps oublié de Greig... Il avait échappé à la domestication d’une vie conjugale », leur complicité avec leur chienne... « et je caressais la vieille pelisse de Grieg de ma main gauche et la jeune pelisse de Yes de la main droite, dignes l’une et l’autre, ce qui m’a fait penser aux habits des académiciens, à ceux des généraux, à ceux des cardinaux, tous plus dignes en effet les uns que les autres, mirifiques, brodés de soie, doublés d’hermine, comme pour mieux occulter notre indignité humaine ».

À cette ode et cette immersion garantie, malgré tout, dans la beauté de la vie « À chaque fois, dehors, je n’ai pas honte de trouver, malgré l’évidence, que le monde est une perfection », s’ajoute une écriture splendide, aussi fouillée que poétique qui s’apparente à une fable aux accents résolument modernes.

 

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