J’avais retenu ce titre pour le présenter en tant que prix Femina 2021. Quelle ne fût ma surprise de découvrir quelques jours plus tard que son auteure a été aussi récipiendaire du prix Goncourt des lycéens en plus du Prix Laurnendau des lecteurs, décerné par un jury de 230 lecteurs. Dernièrement, elle a aussi été récompensée par le Prix Goncourt de l’Orient qu’elle est venue recevoir à Beyrouth même.
Curieuse de savoir pourquoi cette consécration assez exceptionnelle, je prends le livre et commence ma lecture. En fait, c’est lui qui m’a prise. Un roman qui vous broie le cœur, vous fait monter les larmes, vous ramène à votre juste et humble mesure mais au final qui vous agrandit l’âme. Un livre beaucoup plus grand que son titre, puisqu’en 200 pages et trois chapitres, il résume toute la vie : ses souffrances, l’injustice, l’amour inconditionnel, la rage de vivre, la joie d’être vivant, le stress, la fatigue, pour enfin vous livrer le plus gros morceau, à savoir que la vie est infiniment belle…
Mais ce n’est pas tout. Dans la saga de cette fratrie tricotée-serrée, qui doit continuellement s’adapter à sa dure expérience, il y a le souffle de l’auteure qui anime la nature (celle des Cévennes françaises), la montagne et jusqu’aux pierres. Puisque ce sont elles qui témoignent du terrible vécu d’une famille confrontée à un enfant lourdement handicapé et comment chacun des membres y réagit avec son caractère. « Il soulevait toujours les pierres, conscient qu’en dessous la vie grouillait. Il avait compris cela de nous (ndrl. Ce sont les pierres qui jouent le rôle de narrateur omniscient), que notre ventre sert d’abri. Il allait même jusqu’à creuser un trou dans la terre, quinze centimètres minimum, qu’il recouvrait d’une pierre plate afin que les lézards puissent pondre en toute tranquillité. »
L’écriture de l’éditrice et journaliste de 48 ans est sobre, mais puissante. Elle décrit des situations (les difficultés administratives, les séparations, l’épreuve des psys…), l’éventail des émotions (la culpabilité, la tendresse, la révolte, le découragement...) avec sensibilitémais si intensément qu’on croit soi-même les éprouver : « Des femmes debout sur leurs chevilles de faïence, dont l’apparente résignation n’est qu’un leurre. Des femmes qui ressemblent aux pierres d’ici. On les croit friables… mais en réalité, rien n’est plus solide qu’elles. Car, avec le sort, les femmes se montrent rusées. Elles ont la sagesse de ne jamais le défier. Elles s’inclinent mais, par-derrière, elles s’adaptent. Elles prévoient des sources de réconfort, organisent une résistance, ménagent leur énergie, déjouent les peines. »
Un ouvrage admirable qui consacre un chapitre à chaque membre de la famille touchée par ce détour que peut prendre parfois la nature, pour démontrer les différentes visions, ressentis, et réactions face aux douloureuses sinuosités de la vie.
« S’adapter » aura aussi le bénéfice et le bonheur d’être traduit en arabe. Une douceur pétrie de résistance à lire et à offrir.
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