Lecture 53 : Frédéric Beigbeder, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé
03/05/2023|Gisèle Kayata Eid
Humour, auto-dérision, révolte, retour sur soi, gratitude... Dans un ouvrage tout frais sur les tablettes mais qui ne fait pas l’unanimité de la critique (comme de bien entendu), l’écrivain français si controversé se lâche. En cinq chapitres bien enlevés, il brosse un tableau de son parcours, de sa vie et de ce qu’on lui reproche d’être.
En début d’essai, il condense le message de toute son œuvre « en cet appel solennel : ô frères humains, résistons devant l’adversité de la guimauve » et justifie ses mises au point « L’avantage des confessions est de pouvoir raconter des choses qu’on n’a jamais racontées ». C’est surtout l’occasion d’opérer une réflexion lucide sur sa vie, ses cheminements, ses batailles, les accusations et attaques dont il a fait les frais, etc.
Ainsi le premier des cinq chapitres s’intitule « Moi aussi je suis une victime » est lancé en réaction à une agression contre sa demeure en pays basque. Prétexte pour raconter ses difficultés, mais surtout pour se défendre d’avoir été traité d’être un homme, blanc, hétéro, de plus de 50 ans, avec tout ce que cela entraîne comme stéréotypes. Il enchaîne sur sa descente aux enfers avec la coke, puis sur une expérience bienheureuse dans un monastère, puis une autre dans la marine française avant de s’éclater dans le dernier chapitre à propos de son attirance pour les femmes, voire son obsession (et celle de tous les hétéros, d’après lui) pour elles.
On peut aimer ou pas cet auteur, éditeur, chroniqueur, critique littéraire, il n’en reste pas moins que Beigbeder fait une lecture judicieuse de son environnement à travers ses propres travers. Celui qui signe son livre avec le titre qu’il s’arroge « quasiment de l’Académie française » moissonne la religion, la politique, la société actuelle et ses retords d’une façon assez magistrale.
Outre son érudition et son discernement affuté, c’est surtout sa façon de livrer sa « marchandise » qu’on retiendra. Après son heureux séjour dans une abbaye, il écrira : « Je ne veux plus partir. Il va falloir me virer à coups de sandale-chaussette au cul pour que je retourne dans le monde pollué, acheter des objets vains dans des galeries marchandes, où déambuleront des instagrameuses à prothèses mammaires. Je veux vivre au ralenti comme eux, dans la douceur ». Ses propos peuvent être « fanfaronneurs », là n’est pas la question, mais quand un peu plus loin, il ajoute à ce sujet en expliquant pourquoi : « la cathophobie est un racisme parfaitement autorisé, voire encouragé en France », son discours prend une autre dimension.
Il en est de même après son passage à l’armée : « L’organisation hiérarchique, les garde-à-vous, les levers du drapeau, la marche au pas, les chants de la soldatesque... la mise en scène militaire me réchauffe, alors que la guerre des snobs me déprime. Ici, comme chez les moines, une structure éternelle aide l’homme à se surpasser. » À propos de la colonisation, il aura ces termes puissants : « On vient dans un pays, on prend le pouvoir, et les richesses, et les filles. Et quand on est chassé de ce pays, on revient uniquement pour l’aider à se débarrasser de nous », il nous invite à remettre en question ceux qu’autrefois on appelait « les marchands d’armes (alors) qu’aujourd’hui on dit qu’il (s) fourni (ssen)t les moyens de protéger notre démocratie.»
Dans le dernier chapitre, un désir effrayant, Beigbeder ouvre les vannes en ce qui concerne le désir et le sexe. Il y déplore bien entendu la dénaturation des rapports entre hommes et femmes. Avec le franc-parler qu’on lui connaît et le talent de le mettre en mots... Je vous laisse le découvrir par vous-même, pour... en jouir.
A savoir
Le livre est disponible à la Librairie Antoine
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