C’est avec beaucoup de sensibilité et de douleur que Rima Elkouri se penche sur l’histoire de ses origines et plus particulièrement sur le génocide arménien que sa grand-mère avait vécu sans toutefois jamais s’attarder à le lui raconter.
Et pour le faire, elle invente une fiction basée sur des faits réels, récoltés et colmatés dans son milieu puis après un voyage en Turquie sur les traces de ceux qu’on appelait si sauvagement : « les restes de l’épée ». Tous ces « témoins » que le glaive ottoman n’a pas réussi à anéantir et qui, par miracle, prédestination ou chance ont survécu au plus grand génocide du début du siècle.
Plus d’un million et demi de personnes auraient péri dans des conditions terribles : la tête tranchée, jetés au fond d’un puits, arrachés à leur famille pour être vendus comme esclaves, violées avant de finir dans des harems… Des histoires à dormir debout, mais bien réelles que sa grand-mère et pratiquement tous les vieux de ce génocide relèguent au fond de leur mémoire (« ce pays en soi ») pour pouvoir continuer à vivre.
La jeune Montréalaise d’origine libano-syrienne sort justement de l’oubli tous les souvenirs volontairement enfouis comme pour conjurer le sort et supprimer les souffrances endurées.
C’est donc l’histoire d’une téta de 107 ans, originaire de Manam, qui vient de décéder et dont la petite fille n’a pas pris le temps de savoir, ni même de comprendre ce qui s’était passé et qui pourtant l’obsède. « Le deuil ne m’était pourtant pas étranger. Je connaissais ces amours qui meurent après une lente agonie. Ces braises qui deviennent cendres sans que l’on comprenne trop bien pourquoi. Et je me disais parfois que les pires deuils sont peut-être ceux où personne ne meurt. Ces deuils sans fleurs ni funérailles où quelque chose meurt en nous ».
La chroniqueuse à La Presse (quotidien québécois) prend donc sa plume et reconstitue, par bribes, le long calvaire qu’ont connu les Arméniens en 1915 quand les Turcs les ont massacrés et pourchassés pour les exterminer ou du moins les sortir du pays, dans une longue marche de plusieurs années dans le désert turc.
Un roman d’émotions suscitées par le périple de la jeune femme à la recherche des jalons de l’histoire de ses ancêtres et dans lequel se mêle tendresse d’une enfance édulcorée aux relents de la ville d’Alep qui a recueilli sa famille et petits flashs de ce qu’est devenue cette ville avec la guerre en Syrie.
Un vibrant témoignage de résistance à travers une fiction, traduit en anglais (chezMawenzi House) et en espagnol et bientôt en arabe pour ne jamais oublier que «vingt-six lettres d’alphabet suffisent à construire la beauté du monde, mais il ne faut que deux mots pour l’anéantir. Eux et nous. »
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