Monsieur N, Najwa Barakat, Actes Sud, 2021.
Lors du festival Beyrouth livres, la Fondation Corm avait ouvert son espace pour une exposition dédiée aux 50 ans de la maison d’édition Actes Sud, dont une de ses collections Sindbad dirigée par Farouk Mardam Bey est consacrée à la publication de livres arabes traduits en français. Un hommage était rendu notamment aux excellents traducteurs.
Monsieur N, en effet, est un roman bouleversant publié initialement en arabe en 2019, traduit en français par Philippe Vigreux, relevant le défi de porter avec grande justesse la voix du 7ème roman (dont deux publiés chez Sindbad/Actes Sud (Ya Salam-2012) et La langue du secret en 2015) de cette libanaise originaire de Bechareh.
Un thriller psychologique ? Une description des bas-fonds d’une ville laissée à elle-même ? Un essai sur la cruauté et la violence tapie au fond de chacun ? Une descente vertigineuse dans les délires d’un malade mental ? Une histoire autour de l’amour, de ses affres et de ses rédemptions ? L’occasion pour revenir sur cette guerre libanaise, interminable, inachevée et toujours présente dans l’âme de ceux qui l’ont vécue ?
« Monsieur N » est un peu tout ça. C’est surtout l’écriture tourbillonnante d’une auteure qui maîtrise tellement les sentiments de son personnage écorché à sang qu’elle les reproduit avec tant de précision qu’on pourrait croire qu’elle habite ce cerveau qui déambule d’une blessure à une autre.
Un roman haletant, qui vous prend aux tripes par l’intensité du vécu de son protagoniste, un écrivain qui vit dans une chambre d’« hôtel » qui s’avère être un asile psychiatrique… Mais cela nous ne le saurons que vers la moitié du livre, comme bien d’autres énigmes qui s’enroulent autour de cet homme blessé par une mère qui ne l’a jamais aimé et un père qui s’est suicidé devant lui, alors qu’il avait 9 ans. Qui est ce Loqmane qui le tabasse ? Est-ce un souvenir ? La réalité ? Un produit de ses hallucinations ? Ou sa plume qui l’invente ? C’est ainsi qu’on avance dans ce livre aussi saisissant qu’envoûtant, en dénouant chaque quelques pages les énigmes de la narration, aussi emmêlées qu’elles ne le sont dans la tête de celui qui voit avec une loupe toutes les misères et déchéances que recèlent les quartiers défavorisés de Beyrouth qui pourraient être ceux de toutes les villes où l’humain n’est plus souvent qu’un déchet, à l’image de ceux qui peuplent l’âme de Monsieur N.
Le livre est disponible à la librairie Antoine.
ARTICLES SIMILAIRES
Lecture 79 : Ketty Rouf, Mère absolument
Gisèle Kayata Eid
11/04/2024
Brigitte Labbé et les Goûters philo
Zeina Saleh Kayali
08/04/2024
« Profession Bonniche », la romance pour dire l'indicible
01/04/2024
Lecture 78 : Atlas du Moyen-Orient, Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud
Gisèle Kayata Eid
28/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Charif Majdalani
22/03/2024
Lecture 77 : Vent du Nord, Antoine Daher
Gisèle Kayata Eid
13/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Michèle Gharios
09/03/2024
Ouvrages rangés, à déranger : Le choix de Bruno Tabbal
06/03/2024
Lecture 75 : Triste Tigre, Neige Sinno
Gisèle Kayata Eid
29/02/2024
Les brésiliens-libanais au Liban
28/02/2024