Petite histoire de l’improvisation, Ibrahim Maalouf, éditions des Équateurs,2021
C’est celui dont la trompette vous fera pleurer de tristesse en écoutant sa composition « Beirut », mélodie créée à 12 ans quand il découvre Beyrouth en ruine. Celui qui réveillera les tréfonds de votre spiritualité quand il souffle dans son instrument un air byzantin dans l’église Saint Julien-Le-Pauvre où son père était sacristain au temps du pain noir. C’est le compositeur musical auquel vous ne prêterez pas attention mais qui vous fera sentir physiquement le froid et la solitude dans le film « Dans les forêts de la Sibérie », pour lequel il a obtenu le César, en 2017, pour sa trame sonore. C’est celui qui vous contaminera d’une folle envie de danser, comme lors de son extraordinaire concert à Bercy en 2016, alors que sa trompette « expire » sa joie de vivre et de faire de la musique.
Expirer et inspirer. Une théorie en deux temps qu’il expose dans cet étonnant traité sur l’improvisation dans lequel il invite chaque personne à exploiter la capacité d’improviser tapie en elle. Celle que lui « inspirent » les bonnes ondes ou même les mauvaises et qu’il expire par l’action, pour s’adapter, réagir et bien vivre, « cette forme de liberté avec une énergie solaire, celle de l’espoir ».
De l’énergie solaire qui irradie de tous les pores chez ce trompettiste virtuose, dont le père a inventé la trompette à 4 pistons pour les quarts de ton (donc qui joue des intervalles plus petits, des maqams) et qu’il reconnaîtra comme étant « une richesse culturelle qui lui permet d’exprimer toutes ses identités ». Un Franco-Libanais de 43 ans qui, au micro du CELQ (Culture et Écriture des Libanais au Québec), a répondu depuis son studio de Paris aux subtiles questions de Zeina Saleh Kayali avec tant de simplicité et de profondeur qu’il a charmé les 2700 personnes qui ont suivi sur Facebook cette émouvante conférence sur Zoom*.
Cet habitué des tournées et des spectacles, qui improvise à partir de ses émotions, a parlé à son public, français, libanais, canadien avec authenticité et générosité désarmant ses auditeurs qui ont découvert un passionné (et pour reprendre ses propres mots) « bien dans ses baskets : qui (sait) ce qu’il vaut, ce qu’il veut et où il va ». Comprendre un musicien, béni des Dieux qui lui ont octroyé le talent de moduler ses airs sur plusieurs registres : jazzy, mystique, oriental, endiablé… Une entrevue, entrecoupée de passages musicaux de ses œuvres, qui a diffusé autour de ce personnage talentueux, dépourvu de tout artifice, une sorte de paix.
Cette paix intérieure que sa créativité lui procure depuis que ses tout petits doigts s’essayaient à quatre ans au piano de sa mère, libérant la musicalité en lui avant que la trompette de son père ne le contraigne, dès huit ans, à la rigueur, à la technique et bien sûr à la performance, celle qui lui confère aujourd’hui sa notoriété internationale.
Le livre d’Ibrahim Maalouf (neveu d’Amin) est truffé dès les premières pages de références à la famille (il dédie son livre à ses enfants et à sa grand-mère Odette). Résolument ancré dans sa libanité, bien qu’il ait toujours vécu en France, il n’en demeure pas moins reconnaissant de tous les apports qui lui ont balisé le chemin. Il y partage avec nous des souvenirs, des expériences, des conseils, autant de réflexions glanées durant sa fulgurante carrière. Celle durant laquelle « le haut-parleur de son âme » n’a cessé d’attester de son allégresse à jouir de la musique qui vit en lui et de la maîtriser avec tant de brio.
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