Comment vous est venue cette veine littéraire ?
Depuis l’école j’étais une pure littéraire, considérée comme telle et envoyée sans autre forme de procès représenter l’établissement dans les concours littéraires. J’ai par la suite fait des études de droit, matière que j’enseigne à l’université et, un jour que j’étais avec Samir Kassir dans un café, lui racontant un dîner auquel j’avais assisté la veille, je constate qu’il rit aux éclats et me dit « mais tu devrais écrire ! ». Le lendemain, sans trop y croire et toute tremblante, je lui donne un texte qu’il publie aussitôt dans l’Orient express dont il était le rédacteur en chef. J’ai donc continué à croquer mes contemporains et nous avons rassemblé les articles dans un recueil intitulé Frimes et autres délits. Il s’agissait surtout du Liban de l’après-guerre. Puis l’Orient express s’est arrêté et le drame de la mort de Samir Kassir est survenu.
C’est alors que vous commencez votre collaboration avec l’Orient littéraire ?
En effet et au départ, ma rubrique ne faisait pas forcément l’unanimité parce qu’elle était considérée plutôt comme socio-culturelle que purement littéraire, ce qui a suscité un petit débat. J’ai donc commencé à publier en 2010 et, en 2019, je me suis aperçue que j’avais plus d’une centaine de textes à mon actif et que, contrairement à mes craintes, ils ne présentaient pas de redondance.
En 2019 que vous décidez de rassembler les textes en un ouvrage ?
Oui et il était prêt pour le salon du livre 2019 qui, comme vous le savez n’a jamais eu lieu. Je l’ai pris comme un signe prémonitoire : la thaoura allait balayer cette société considérée comme superficielle que je décris. C’était comme un signe d’une déliquescence annoncée, l’insouciance n’est plus de mise, la vie d’antan n’existe plus.
Vos textes ont une action thérapeutique ?
Si vous le dites ! Ils visent en tout cas à nous sortir du trio infernal Journal télévisé-mauvaises nouvelles-déprime, qui nous mine au quotidien.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Ce n’est pas absolument pas une œuvre d’imagination (je n’en ai pas !) mais une captation, avec une ironie tendre, des petits travers du quotidien. Ce sont des billets courts et incisifs qui décrivent une situation (que j’ai en général vécue). Il n’y a pas ici de volonté moralisatrice ou de dédain vis-à-vis d’une société dont je fais partie et qui est en voie de disparition.
L’ouvrage est illustré ?
Oui et par une merveilleuse artiste que vous connaissez sûrement, Zeina Abirached. Elle a créé un personnage appelé « La Chaoulette » qui me ressemble étrangement, qui porte collier de perles et lunettes ! Les illustrations apportent beaucoup de pétillant et de gaité à l’ensemble.
A part la société dont vous parodiez très humoristiquement les traditions, y a-t-il d’autres catégories sociales dont vous parlez ?
Une catégorie sociale gonflée de son importance, celle des « artisans-filous », comme par exemple le plombier qui m’annonce avec morgue, qu’il est chez le ministre et qu’il n’a absolument pas le temps de gérer les problèmes secondaires liés à ma petite personne ou bien les personnages de ménagères déplacées de leur montagne natale ou encore les vieux beyrouthins qui vivent dans des bicoques lorgnées par les promoteurs immobiliers vénaux.
Certains de vos textes sont carrément nostalgiques, d’autres plus caustiques ?
Pour la partie nostalgie, ce sont surtout ceux qui ont trait à l’exil de la jeunesse, à la douleur des mères et puis aussi au vieux Liban, aux rituels d’antan. Mais pour la partie plus ironique, je m’en prends aux effets de modes, à la folie des voyages exotiques, aux acronymes auxquels on ne comprend plus rien, aux idées reçues, aux gens qui pérorent sans vraiment savoir de quoi ils parlent. D’ailleurs je cite souvent Beckett à mes étudiants : « Puisse toute chose dite habituelle vous inquiéter ».
Comment se présente l’ouvrage ?
En trois parties intitulées respectivement : Autant en rire, Ou même en pleurer, Je pense comme je suis. Une fois les articles regroupés en thèmes, ils prennent sens, et se regardent d’un autre œil beaucoup plus sociologique.
A savoir
Clin d’œil par Nada Chaoul (édition l’Orient des livres) Présentation et séance de dédicace le 17 décembre 2021 à 16h à l’hôtel Gabriel à Achrafié. L’ouvrage sera ensuite disponible dans les librairies.
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