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Les forêts méditerranéennes de George Merheb

19/05/2022|Léa Samara

Qu’est-ce qu’un artiste ?

A la question « comment êtes-vous devenu artiste ? », George esquisse un sourire et ouvre immédiatement une parenthèse philosophique. On ne choisit pas d’être artiste ; on l’est ou on ne l’est pas. « L’artiste tapi au fond de nous, s’il est là, sortira toujours d’une manière ou d’une autre. Le déclic est déjà en nous ». L’artiste est généralement vu comme un génie inspiré, celui qui transfigure le réel dans une vision envoûtante. Il paraît donc évident que l’art n’est pas fait pour tout le monde. Pourtant l’artiste lui-même ne choisit-il pas d’être ce qu’il est? N’est-ce pas la muse qui murmure à son imagination la créativité ? N’est-ce pas là une voie mystique qui annulerait toute l’originalité de la personne-artiste ? L’artiste fait-il l’art, ou l’art est une dimension qui transcende sa volonté ? Mais alors, pourquoi faire des études académiques d’art ? Selon George, cette formation à la technique donne à l’artiste les outils nécessaires, l’alphabet avec lequel il va exprimer son art, qui n’est autrement « qu’un diamant brut ». Toutefois, les études ne peuvent pas se suffirent à elles-mêmes, aussi poussées soient-elles. « Ça manquera d’âme, de créativité, de ce qui fait pousser la carrière d’artiste sur le long terme ». George s’accorde donc tout de même sur le terme inné, à défaut de reconnaitre un génie créatif comme dénominateur commun à tous les artistes. 

Un artiste complet 

Après un parcours académique très divers, les arts plastiques se sont imposés à George comme une évidence, particulièrement la sculpture, la peinture, et le collage. Parallèlement à cela, l’artiste a une autre spécialisation, la restauration des monuments historiques, qu’il a étudié à Venise dans les années 90. Ainsi, il dispose d’une expertise en rénovation de fresques, décorations murales, qu’il pratique rarement aujourd’hui au Liban. Pour ce qui est de son fonctionnement créatif, George peint plusieurs toiles en même temps, deux, trois, quatre, « il faut prendre du recul », et accepter cette saine fatalité qu’est l’hésitation, le fait de buter sur un élément dans la composition, sur une couleur… L’artiste est résolument paisible dans son processus de création, et dans les imperfections qui la composent inextricablement. 

 

La gènese de « Trees » à la galerie Mark Hachem 

Cette exposition est le fruit d’un travail réalisé durant les différents confinements au Liban, depuis 2019. Grâce à cette expérience créative intense, l’artiste n’a pas senti l’enfermement ; l’esprit occupé, en ébullition, et la possibilité de travailler à l’atelier à deux pas de la maison. « C’était thérapeutique, miye biel miye (100%) », et c’est comme cela que George a pu dépasser cette période sans encombre. Combattre l’ennui et l’inactivité c’est une chose, « mais être bien dans sa tête c’en est une autre ». Un autre aspect inné de la vocation artistique, c’est la mesure dans laquelle l’expression par le média vient spontanément en toute situation. Sortir une colère, faire le deuil d’un proche, célébrer une liesse collective… « quand on est artiste ça vient naturellement », on a envie de se saisir du pinceau et de coucher sur la toile tout ce que le verbe ne peut pas dire. Les dernières années ont alors été l’ocassion pour George de canaliser ce flot d’émotions, et de le figurer avec « Trees ». 

La Méditerranée au cœur des forêts de George

Les œuvres exposées sont des collages de morceaux de toile sur toile, peintes, découpées en bandes, collées, et repeintes afin de composer ces forêts luxuriantes, spontanées. Cette incarnation progressive du végétal dans ces superpositions de toiles, ce cheminement, l’a amené jusqu’au Cèdre, « le plus bel arbre », la fin de la série, l’aboutissement, le couronnement. Si ces tableaux végétaux semblent appartenir au prisme du détail, de l’instant, ils ont en réalité une résonnance mystique, emplis de références allégoriques à la mythologie méditerranéenne. En effet, George s'inscrit parmi ceux qui célèbrent cette " mare nostro ", chérissant la splendeur de vivre, les nuits d'été sans fin et la félicité céleste, commémorent ces fêtes qui ont fait de la Méditerranée le centre du monde : Baalbeck, Carthage, Athènes, Pompéi, Rome, Byblos. George dans son art, représente l'exemple typique du méditerranéen éclairé, de l’adorateur du panthéisme. C’est vrai que cette exposition est teintée de réminiscences dramatiques, à la fois mythologiques dans les références évidentes à l’enlèvement d’Europe par Zeus dans ses sculptures, et plus contemporaines, avec ce qu’il qualifie de « tragédie des arbres ». En sus, George est sensible à la cause écologique, ce qui se ressent de facto dans ses productions. Quand il a commencé à travailler les arbres en 3D, « c’était ceux que l’on coupe, les troncs d’arbre naturels », qu’il a augmenté de branches en fer, « pour souligner la misère écologique dans laquelle on vit ». A mi-chemin dans son travail, triste, manquant de couleurs, George a souhaité se tourner vers les toiles, qui ont été sa fraicheur, son optimisme. « Le message reste le même », mais une dualité apparait : la sculpture dénonce et la toile introduit l’espoir de l’artiste à un état de communion revécu entre les Hommes et la Nature. 
 

 

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