Votre récit se déroule entre le rondpoint de Dora et la place Riad el-Solh. Pourquoi avoir choisi cette rue ?
Je l’ai d’abord choisie pour des raisons personnelles, et l’envie d’en faire un texte remonte à bien avant l’automne de 2019. Mais depuis octobre, mon regard sur cette rue Arménie/Gouraud/Émir-Bachir a changé. J’y vois maintenant un parcours parsemé d’étapes qui symbolisent la corruption de la classe politique libanaise. Pour n’en nommer que quelques-unes (en partant de Dora) : la décharge de Bourj Hammoud, le fleuve, la gare ferroviaire, le siège d’EDL, le port de Beyrouth, Solidere, la mosquée et l’église, le Parlement, la rue des banques, le Grand Sérail… Chacun de ces lieux – tous situés le long de cette rue – participe, à sa manière, du brillant système qui a conduit le Liban à sa perte.
Dans ce récit, comme dans votre précédent roman Ougarit, l’espace urbain semble être le personnage principal. Qu’est-ce qui vous attire dans la ville ?
Le narrateur d’’Octobre Liban’ contemple une ville transformée par la corruption, mais aussi par les gens qui manifestent leur colère contre cette corruption. En retour, la forme de la ville informe le comportement des manifestants en leur offrant des interstices à occuper, des marches vers lesquelles se diriger pour s’asseoir un moment, un mur à tagger, une vitrine à saccager. Au-delà de Beyrouth et de ses folles journées d’octobre, la ville est en permanence transformée par les pratiques de ses habitants dont les comportements sont à leur tour altérés par la forme de la ville. C’est ce processus de transformation mutuelle que j’essaye de capter par l’écriture.
Samir Kassir, à qui vous dédiez ce livre, tient une place particulière dans le chapitre intitulé « Tous veut dire tous ». Quel est son rôle dans la révolution libanaise ?
Ce qu’on a appelé la révolution du Cèdre en 2005 était pour Samir Kassir un printemps inachevé. Inachevé parce que le mouvement populaire ne s’était, à l’époque, pas retourné contre ses zaïms politiques traditionnels, et ne pouvait donc pas être qualifié de révolution. En octobre 2019, c’est chose faite. Et, même si la route est encore longue, la population – une partie d’entre elle en tout cas – est désormais convaincue que pour le Liban, le seul moyen de s’en sortir, le seul moyen d’exister encore, est de renouveler sa classe politique. Alors, avec ce slogan, « Tous veut dire tous », né en 2015 lors de la crise des déchets, et récupéré par octobre 2019, c’est une petite partie du rêve de Samir Kassir qui se réalise.
A savoir
‘Octobre Liban’ (éditions Inculte, 2020) est le deuxième livre de Camille Ammoun. Son premier roman ‘Ougarit’ (éditions Inculte, 2019) a reçu le prix France-Liban de l’ADELF.
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