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Pérégrinations : Un pays qui n’existe pas

13/09/2023|Dounia Mansour Abdelnour

Un pays qui n’existe pas 

 

En 2012, la société d’études pour laquelle je travaille me prend rendez-vous avec une flopée de PDG que je dois interviewer au Koweït. Je tiens la fonction de modérateur pour l’étude préliminaire d’un projet dans le secteur pétrolier à Koweït city.

 

C’est mon premier voyage dans cet émirat qui se trouve sur les rives du golfe Persique et que je visite, munie d’un passeport canadien qui ne nécessite pas de visa d’entrée. Ayant atterri dans ce petit pays à 02h00 du matin en plein mois d'août, à l’instar des autres passagers, je me rends à la salle d’attente commune où je tire un numéro après avoir remis mon passeport à l’Immigration en attendant que l'on m'appelle.

 

Un groupe d'une centaine de passagers philippins en provenance de Manille venait de débarquer presque en même temps que moi, et occupaient quasiment tout le hall d’attente. La fatigue et le sommeil se lisaient sur les traits, les visages aux paupières lourdes battant plus que de coutume, les voix qui ne sont plus que murmures ainsi que les gestes indolents. Je patiente mais l'attente est trop longue. Déjà, 02h50. Cela fait cinquante minutes que je poireaute en luttant contre le sommeil lorsque je remarque que mon numéro le 269 vient d’être dépassé! On avait appelé le 270. Quelque chose ne tournait pas rond.

 

Je vais m'enquérir au comptoir où quatre Philippins font office d’agents d’immigration. Normal dans cette monarchie constitutionnelle où 19 % seulement des Koweïtiens travaillent, dont 80 % dans le secteur public. Le reste des emplois est assuré par la foule des travailleurs étrangers. En outre, les 1,5 million de Koweïtiens ne représentent qu’un tiers de la population du pays, aux côtés des 3 millions de résidents étrangers. 70 % de la population est donc étrangère. 

 

Je donne mon numéro à l’agent qui me demande de patienter sans explication. De retour à ma place, je vois l’agent pointer du doigt la page de mon passeport, me jeter un regard curieux, discuter avec un second agent puis un troisième. On gesticule, on va consulter des fichiers et le babillage recommence, derechef. La situation devient inquiétante. Et si je faisais face à un problème de visa qui m'avait échappé ? Et si on me prenait pour quelqu’un d’autre ? Tous les passagers en attente sont partis. Il est presque 03h45. Je reste seule avec deux nouveaux venus. Mon anxiété est à son paroxysme. Je pense : pourvu que je ne sois pas refoulée vers le Liban.

 

 

Un quart d’heure plus tard, on appelle de nouveau le 269. Une demi-douzaine d’agents vient se mettre en face de moi. Doux Seigneur, me dis-je, je dois avoir un sacré problème ! Enfin, un début d’explication :

 

- Quel est votre pays de naissance ? 

- La Gambie (GMB sur le passeport)

- C’est bien la Zambie ? C’est donc une erreur

- Non, c’est la Gambie 

- Où est située la Gambie ?

- En Afrique

- Où en Afrique ?

- En Afrique de l’Ouest, sur l’océan atlantique, enclavé à l’intérieur du Sénégal 

 

Des regards ahuris me fixent. 

Alors, hébétée, à mon tour, j’entends :

  • Ce pays n'existe pas dans notre liste des pays. 
  • Ça alors ! 
  • Nous devons l’inclure dans la liste des pays avant de vous autoriser à rester au Koweït.

 

Et c’est ainsi que, bouche bée, j’apprends que j’étais la première citoyenne gambienne (car je l’étais aussi) à pénétrer le territoire du mini État du Koweït.

 

Une demi-heure plus tard, le Koweït avait ajouté (une capitale) Banjul et un nouveau pays la Gambie à sa liste des pays. C’est alors seulement que je fus autorisée à sortir de l’aéroport.

 

 

 

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