Laure Delacloche est une Française qui vit au Liban. Elle publie aux Éditions Riveneuve « Comprendre les Libanais », un guide de voyage interculturel. Rencontre avec l’auteure.
Qu’est-ce qu’un guide de voyage interculturel ?
C’est un guide de voyage un peu différent, qui ne compte ni bonnes adresses ni recommandations touristiques. Les guides de voyage sont en général tournés vers la découverte d’un pays du point de vue du visiteur. Ce guide insiste plutôt sur le dialogue nécessaire entre le visiteur et les Libanais qui l’accueillent. Cela peut sembler un détail, mais c’est une énorme différence entre des guides de voyages souvent ethnocentrés, et ce que mon éditeur Riveneuve et moi proposons.
Ce livre insiste sur les efforts à mener pour réellement rencontrer les Libanais, et pas seulement projeter ce que nous croyons savoir d’eux.
Pour déconstruire les idées reçues et les clichés des visiteurs, je me suis basée sur la science : que disent les historiens, les sociologues, les anthropologues sur la société libanaise ? Je me suis aussi basée sur la sagesse populaire que constituent les proverbes, même si ceux-ci indiquent plutôt des normes (et souvent anciennes !) que des pratiques. Enfin, je me suis basée sur mon expérience personnelle, celle de mes amis (libanais et étrangers) et sur toute une série de rencontres.
Le titre “Comprendre les Libanais” est surprenant compte tenu de la situation dans laquelle se débat le pays. Avez-vous réussi à les comprendre ?
Permettez-moi de botter en touche en disant que “comprendre les Libanais” est un processus permanent et infini d’apprentissage ! Ce livre et toutes les conversations qu’il a engendré avec des historiens, des linguistes, des enseignants a certainement accéléré ma compréhension de la société libanaise. Le fait que je parle raisonnablement le dialecte libanais a également beaucoup aidé : comment les Libanais se parlent-ils entre eux ? Quels sont les sujets de conversation le matin au café ? De quoi rient-ils ensemble, de qui se moquent-ils ? Ce sont des aspects importants auxquels il faut accéder pour comprendre la société dans laquelle on vit.
Ce livre ne parle pas beaucoup de l’actualité du pays -je me suis concentrée sur ce qui rassemble les Libanais, loin des clichés d’un pays “éternellement divisé” - et donc la crise qui sévit depuis 2019 n’est que très peu évoquée. En revanche, je suis revenue au Liban en 2021 pour m’y installer. J’ai assisté à l’extrême brutalité de la crise, et j’ai mesuré au jour le jour ses conséquences sur mes amis, qu’elles soient financières, psychologiques ou même physiques - quand on a des pénuries d’eau ou qu’on attend cinq heures dans sa voiture pour faire le plein. Pour comprendre cette situation, la clé de compréhension que j’offre à mes lecteurs est celle de l’histoire de la guerre civile et de ses ramifications jusqu’à aujourd’hui. Qu’est ce qui, dans la situation que les Libanais vivent aujourd’hui, fait écho à leur vécu de guerre ? Qu’est ce qui fait écho à la loi d’amnistie générale d’août 1991 ?
C’est une grille de lecture de la situation qui est insuffisante, je le sais, mais je pense qu’elle équipe très bien des lecteurs francophones pour commencer à comprendre ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent autour d’eux.
Vous vivez au Liban, comment définiriez-vous les relations au quotidien avec les Libanais ?
Je me sens plus à l’aise de décrire mes propres relations, car ma position d’étrangère, qui plus est de Française, et de femme, les affecte certainement beaucoup.
Mes relations au quotidien, dans la rue ou avec les commerçants, sont plutôt chaleureuses et drôles. Elles sont ponctuées par une grande surprise du côté de mes interlocuteurs quand je tiens tout une conversation en dialecte libanais. Les encouragements des Libanais à apprendre leur langue m’ont toujours poussée… Beaucoup de Libanais entretiennent avec la langue arabe un lien très fort et c’est un vrai point commun culturel avec les Français.
Dans la sphère plus personnelle, mes relations sont très “serrées” je dirais : on se parle tout le temps, on se voit tout le temps, on se soutient énormément, mes amis plus âgés remplissent mon frigo et moi je suis là pour leur rendre des petits services au quotidien, ou leur apporter des médicaments. C’est un vrai travail d’adaptation pour les Français de cultiver ces relations selon les standards libanais, cela me fait beaucoup réfléchir sur ma culture française.
A savoir
Laure Delacloche signera son ouvrage le vendredi 15 décembre à 16h à l'Espace Matisse, lors de l'événement Pop of Hope.
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