Pourquoi avoir choisi d’écrire sur le théâtre ?
Pourquoi le théâtre ? Tout d’abord parce que c’est mon domaine, j’ai travaillé toute ma vie dans ce métier en tant que comédien. J’ai étudié à l’Université Libanaise, j’ai une maîtrise de théâtre : ça a toujours été une passion que j’ai entretenue et développée dans un cadre doctoral en écrivant une thèse sur l’impact du théâtre libanais sur la société.
Les mentalités ont aujourd’hui changé mais à l’époque, faire du théâtre n’était pas un métier rémunérateur. Pour subvenir à mes besoins, j’ai dû faire d’autres métiers et j’ai finalement travaillé à l’ambassade de Suisse au Liban, en tant qu’attaché culturel. Dans ce cadre, on m’a invité à aller voir des pièces de théâtre dans des prisons, des camps de réfugiés et des quartiers démunis. Cette expérience m’a permis de mieux comprendre que le théâtre pouvait s’utiliser comme thérapie sociale. Par son intermédiaire, les acteurs, en l’occurrence les participants à ce processus de réhabilitation, peuvent exprimer leur identité et leurs frustrations ce qui contribue à les aider à se réintégrer dans la société.
Comme je m’occupais de la culture à l’ambassade, cette approche du théâtre m’a interpellé. J’ai commencé à me poser des questions. Je ne connaissais que le théâtre traditionnel et j’ai décidé de développer ma connaissance de cette nouvelle approche du travail théâtral.
J’ai donc commencé mes recherches sur le sujet dans toutes les librairies du Liban ainsi qu’en France. La plupart des ouvrages traitant de cette thématique n’existaient qu’en anglais.
Pour pallier à ce manque, j’ai finalement décidé d’écrire une thèse de doctorat que les Editions Slatkine de Genève viennent de publier sous la forme d’un essai traitant, en particulier, de la résolution des conflits à travers le théâtre entre prévention, travail de mémoire et réconciliation dans la durée.
Qu’en est-il du travail de mémoire dans le théâtre ?
De plus en plus d’artistes travaillent sur la mémoire car on ne peut pas détacher un pays, un individu ou un groupe de personnes de leur histoire ni de leur culture. J’ai donc fondé mon travail sur la théorie des professeurs Boulding et Lederach, spécialistes de la résolution des conflits « We live in a 200 year present » (« Nous vivons dans un présent de 200 ans »). Nous avons été touchés par les vies du passé et nous toucherons les vies du futur.
Pourquoi le théâtre est-il plus persuasif que d’autres moyens d’expression ?
Le théâtre est un moyen d’expression particulièrement persuasif grâce à la présence de l’acteur. Le cinéma, c’est une bande enregistrée : toujours la même. Au théâtre, l’acteur communique différemment avec son émotion : la catharsis a plus d’impact. Chez nous, en Orient, le théâtre est participatif de nature : il y un va et vient direct entre l’acteur et le spectateur. Je pense notamment au conteur oriental, le « hakawati ».
De plus, le théâtre est un miroir de la société et du quotidien. Il permet l’identification du spectateur au personnage et la sensibilisation au conflit.
Quelle est l’importance du théâtre dans la culture libanaise ?
Je dirais qu’il y a deux sortes de théâtre au Moyen-Orient : l’art de la scène comme discipline culturelle qui a sa place au Liban en arabe, mais aussi en français ou en anglais, et puis, la théâtralité du quotidien. En effet, depuis ma naissance, tout me paraît théâtral au Liban. Quand j’allais avec mes parents à des mariages, c’était du théâtre. Aux enterrements, c’était du théâtre. La Sainte Barbe c’en était aussi. Même la fête de la Ta’zieh dans la communauté chiite est aujourd’hui officiellement théâtrale. L’émotion des Libanais est théâtrale : regardez les gens qui se disputent dans la rue puis se réconcilient.
Vous affirmez que le théâtre participe à la résolution des conflits : qui en sont les acteurs sur la scène libanaise ?
Le théâtre est un porteur de paix aujourd’hui : il aide à comprendre les crises, à les décrypter et à réconcilier. Il y a plusieurs compagnies qui montrent bien ce rôle du théâtre, mais je ne pourrais pas tout citer. La compagnie ‘Zoukak’par exemple, fait un travail impressionnant en se servant du théâtre comme thérapie sociale. Le rôle de la thérapie sociale, c’est de reconstruire le citoyen dans la société. Quand on voit un immeuble effondré, on essaye de le reconstruire : aujourd’hui il faut aussi reconstruire les humains. ‘Zoukak’ a développé des interventions théâtrales auprès des personnes touchées par la violence et la guerre. Ils ont travaillé avec des jeunes incarcérés, des enfants handicapés, des femmes victimes de violences domestiques, des migrants… Le travail de l’association ‘March’ est aussi important ainsi que bien sûr, les initiatives de la fameuse Zeina Daccache.
A qui adressez-vous cet essai ?
Je pense à la nouvelle génération. Tout mon travail est dédié aux rêves de la jeunesse libanaise. Je ne veux pas que les jeunes quittent le Liban : c’est eux le Liban. Nous, on commence à devenir le passé ; à 50 ans je me sens déjà le passé. C’est à eux de fonder un nouveau pays qui soit ancré au XXIe siècle. Ce pays est magnifique et il mérite beaucoup mieux. J’espère qu’à travers le théâtre, on arrivera à sensibiliser et à construire un Liban meilleur.
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