Blick, artiste français protéiforme, a voyagé au Liban un an après l’explosion qui a laissé Beyrouth exsangue. Vivement intéressé par la question du vivre-ensemble, il a voulu découvrir ce pays caractérisé par sa pluriconfessionnalité et voir comment, dans ce contexte si particulier, des personnes très diverses ont partagé une expérience commune de deuil, couplée à une colère exacerbée envers la classe politique libanaise. En plus d'être réalisateur, Blick exerce en tant que dessinateur et présente, dans sa collection Carnet de faits, des croquis inspirés de faits quotidiens observés lors de ses différents voyages. A l’issue de son séjour au Liban, il décide de livrer deux témoignages forts de l’après-coup de l’évènement tragique du 4 août 2020 : l’un sous la forme d’un carnet de dessins (De Braise et de Beyrouth) et l’autre, sous la forme d’un livre : Effondrement en Course. Il décrit ce dernier comme étant un carnet de dessins couchés par écrit, “où chaque paragraphe devient un croquis en soi”.
Avec ces deux ouvrages, Blick voulait rapporter des réalités qui ont été vite oubliées par les médias français. Sur place, il a tenu à rencontrer des individus de tous milieux afin de saisir une grande diversité de points de vue sur la situation en cours au Liban. Touchées d’être face à un étranger qui s’intéressait à leurs histoires, les personnes qu’il a rencontrées se sont ouvertement confiées à lui. Après avoir passé du temps avec des pompiers et des professionnels de santé, rudement éprouvés lors de l’explosion du 4 août, il lui est paru d’autant plus important de retransmettre les témoignages recueillis. D’une certaine manière, il se place dans la lignée des dessinatrices libanaises Lamia Ziadé et Zeina Abirached, dont la pratique du dessin sert à effectuer un devoir de mémoire face aux non-dits officiels et à l'amnésie collective.
Les dessins de Blick, qui naviguent entre l’illustration, la caricature et le reportage, se font d’un seul trait. Une pratique qu’il a adoptée à Paris, en esquissant des portraits d’inconnus dans le métro une fois qu’ils étaient sortis du wagon : l’idée étant de saisir l’instant présent. A Beyrouth, il s’est rendu à la marche commémorative du 4 août 2021, support de nombreux croquis dans De Braise et de Beyrouth.
Lors de la manifestation, il a été particulièrement ému de constater un tel brassage social et générationnel. Moins figuratif que la photographie, une forme d’expression artistique qu’il pratique également, le dessin lui a permis de maintenir une distance par rapport à l’émotion et de regrouper les différentes personnes observées sur une seule et même illustration. Le dessin permet de donner à voir des images impactantes, toutefois moins violentes que la réalité qu’elles dénoncent, tout en laissant un espace à l’imagination des lecteurs. Dans ses dessins épurés, il fait le choix de ne pas représenter expressément les visages et ce, afin de permettre à plus de personnes de s’identifier à eux et ainsi rendre son travail plus universel.
Blick a présenté les dessins de ses aventures beyrouthines lors d’expositions publiques en France. Certains visiteurs lui ont rapporté qu’ils ne se rendaient pas compte de l’ampleur de l’impact matériel et émotionnel causé par l’explosion, qui perdure aujourd’hui. Blick blâme notre “société de l’instantanéité”, où le traitement médiatique des événements est très bref et momentané.
Son travail de sensibilisation se poursuit à travers l’art burlesque. Ses photographies et dessins sur Beyrouth ont été présentés au sein d’un cabaret itinérant, “Les Folies Faverges”, qu’il a monté en collaboration avec la chanteuse lyrique Salomé Haller. La forme légère et décalée du cabaret permet de divertir les spectateurs, tout en éveillant leur esprit sur ce qu’il se passe à 3000 kilomètres d’eux.
Les ouvrages de Blick sont disponibles à la livraison internationale.
Plus d’informations sur : http://carnetdefaits.net/
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