Controversée. C’est le moins qu’on puisse dire de la décision de l’Académie du Goncourt. C’est au 14e tour d’un scrutin très serré face à Giuliano da Empoli et son « Mage du Kremlin » (voir la prochaine chronique) qu’a remporté le célèbre prix une histoire qu’on pourrait qualifier de banale, celle d’une veuve qui essaye de reconstituer l’enchainement des événements qui ont précédé la mort accidentelle de son conjoint, il y a plus de 20 ans.
Goncourt de la nouvelle 2007 pour son recueil « L’amour est très surestimé », l’autrice bâtit son récit sur 23 séquences de « si ». Une démarche habituelle souvent entreprise à la suite d’un événement tragique : si son frère n’avait pas laissé la moto dans leur garage, si elle n’était pas montée à Paris chez son éditeur, si son collègue ne l’avait pas retenue, etc. L’écrivaine décortique, séquence, répertorie, reprend minutieusement les moindres détails pour tenter de… Et c’est là probablement que le roman nous laisse sur notre faim. Où va-t-on avec cette nostalgie, culpabilité, mélancolie, réminiscence, et au passage quelques remarques sur ce qu’était le monde à la veille du troisième millénaire, le tout exprimé avec une sorte d’obsession maladive de reconstituer le passé, dans une vaine tentative de conjurer le sort ?
La réponse est probablement dans l’écriture sobre et sensible de Brigitte Giraud. Sans s’essouffler, avec une répétitivité à la limite envoûtante, elle témoigne de son grand amour, avec retenue et douleur, et livre ses réflexions sur l’implacabilité du destin et l’impuissance humaine face à ce rouleau compresseur qu’est parfois la vie.
"Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d’horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l’origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient le spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive."
Un livre qui se lit vite mais surtout à lire pour saisir la mutation et le renouveau des choix du jury de Drouant.
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