C’est l’adjectif qui siérait à cette actrice à la voix reconnaissable entre mille, qui n’a pas pris une ride, féminine à souhait, rayonnante, active comme jamais, inspirante…Rencontre avec une icône du cinéma français, à Beyrouth la veille de son spectacle le 28 février, sur les planches du Bustan, dans une interprétation de ‘Hiroshima mon amour’ de Marguerite Duras.
C’est avec un zeste d’émotion que je la vois s’avancer. Altière, grand sourire, la tête enroulée dans un foulard, celle qui a fait exploser l’audimat en 1979 avec ‘Les Dames de la côte’ est là. Mais aussitôt qu’elle enlève ses grosses lunettes noires et que nous commençons à parler, je découvre une femme d’une vivacité délicieuse qui se dévoile en toute simplicité. Les questions fusent, informelles, et les réponses tombent aussitôt, authentiques et sans ambages.
Ecouter Fanny Ardant avant de monter sur scène
À voir votre filmographie extraordinaire, on se demande comment vous trouvez le temps pour être si prolifique.
Je ne m’en rends pas bien compte. Je pense que j’ai toujours fais ce que j’aimais, ce que je voulais. J’ai toujours dis oui à des films ou des pièces de théâtre parce que j’avais très envie de les faire. C’était mon grand luxe : la liberté. Je n’ai jamais considéré mon métier comme étant un métier comme un autre. C’est le désir de faire des choses qui ont eu du succès et d’autres qui en ont eu moins qui me motive. Le temps on le trouve toujours. Un film ça dure deux mois. La période de la préparation est plus longue avec le metteur en scène, comme au théâtre d’ailleurs ; mais finalement tout s’emboîte assez bien. Deux films par an… Oui on a le temps.
Deux films plus tout le reste. Comme la représentation de ce 28 février, une parenthèse…
Oui, parce que j’ai toujours aimé le théâtre, mais pas le théâtre régulier, conventionnel. À Paris, il m’a toujours un peu ennuyée parce que ça dure trop longtemps. J’aime aller jouer au théâtre dans des villes étrangères, pour une seule fois, un ‘one shot’.
Ce n’est pas la première fois que vous venez au Liban
Je suis venue une fois à Baalbek, avec la grande violoncelliste Sonia Wieder-Atherton pour jouer Médée d'Euripide (ndrl en juin 2009). Puis avec Gérard Depardieu (ndrl en 2014), pour interpréter ‘La Musica’ de Marguerite Duras.
Vous dites aimer le Liban, qu’aimez-vous au Liban ?
Les Libanais. C’est un mélange incroyable que j’aime : courageux, entrepreneurs, rapides, frondeurs, d’une extrême sophistication. C’est aussi la nourriture du pays, les vins, la vie qu’on sent sourire. Je ne suis pas quelqu’un qui fait du tourisme. Ce sont les gens qui m’intéressent. Y a des pays où je me dis : ‘‘Oh la barbe !’’ Je n’aime pas les pays où il y a trop d’ordre. J’aime ici, le côté débrouillard. Sur les ruines, on reconstruit quelque chose rapidement, la lutte malgré la souffrance. Que dire des femmes libanaises ?! Incroyablement soignées. Autant celles que j’ai vues à Paris que celles que j’ai rencontrées au Liban… Les hommes. Les jeunes gens, si beaux… C’est un petit pays mais avec une marque de fabrique incroyable.
Maria Callas disait : ‘‘j’aime beaucoup Maria, mais Callas, je dois aussi m’occuper d’elle’’. Quelle est la part de l’actrice dans la vie de Fanny Ardant ?
Moi c’est plutôt Fanny que j’ai mise dans Ardant. Je suis rentrée dans ce métier en voulant faire ce que je fais. J’y suis rentrée par le théâtre. Pour le verbe. Les mots. Monter sur scène et dire des choses. C’est important. C’est venu comme si j’étais à moi seule une usine, une fabrique à moi seule de ce que j’avais envie de dire.
Cela a marché tout de suite ?
Non. Ah non, cela a été au début une très longue descente aux enfers. J’ai fais des petits travaux. J’ai été secrétaire. J’ai tapé à la machine. J’ai travaillé dans des bars. Je me suis débrouillée.
Et qu’est-ce qui vous a sauvé ?
(Elle sourit) Un peu comme les fous : la certitude. J’avais fais des études universitaires de relations internationales et mes parents me disaient : ‘‘Allez tu as plein de diplômes, tu ne vas pas vivre cette vie de misère, tu es intelligente’’. Je répondais : ‘‘Non, non, non, laissez moi faire’’. Parce que je savais. C’est pour ça que quand on me demande quels conseils je pourrais donner à de jeunes acteurs, je réponds ‘‘aucun’’. Parce qu’aucune vie ne ressemble à une autre.
Mais par contre vous pourriez avoir un conseil à donner pour passer au travers des années en gardant toujours le même look, la même élégance, le même charisme. Quel est votre secret ?
Je pense que c’est être fidèle à soi-même. Cela commence vers 15 ans. Il y a tout ce à quoi on dira oui et tout ce à quoi on dira non, quoiqu’il arrive. La vie est courte. On ne peut pas être otage des autres. Il faut pouvoir revendiquer sa vie.
Mais physiquement vous n’avez pas changé non plus
Ah non ? (elle rit). Vous savez cette phrase qui dit : ‘‘À 40 ans on est responsable de son visage’’. Tout ce qui vous anime : les sentiments, les envies, les idées, les révoltes, la résistance, tout vous modèle. Mais c’est comme un ordinateur, le disque dur d’un ordinateur est toujours le même.
Le 22 mars vous allez fêter vos 70 ans, qu’est-ce qui vous maintient toujours ?
La colère peut-être ? Je suis fatigante. J’ai envie de quelque chose. Puis je n’ai pas envie de quelque chose d’autre. Je ne me suis jamais résignée. Je n’ai jamais courbé le cou. On regarde toujours les choses de la même façon. Ce que vous aimez, vous l’aimez toujours et ce dont vous n’avez pas envie, vous n’en avez toujours pas envie. C’est irréductible.
Quand vous vous levez le matin qu’est-ce qui vous anime ?
J’ai l’envie de vivre. J’ai très vite compris que tout est éphémère. J’ai perdu mes parents. J’ai toujours privilégié le moment présent. Je suis quelqu’un de mélancolique. Je ne suis pas sociable. Je n’avais pas les clés pour ça. Je ne savais pas être légère. Les small talks, très peu pour moi. J’ai été très passionnée par mon métier. Je n’aime pas les mondanités, le snobisme, l’argent, cela ne m’intéressait pas. Je n’ai pas été épatée par le pouvoir. Ce sont les êtres humains qui m’intéressent.
S’il y a un mot, une image qui vous devez vous résumer, en pensant à votre carrière, à ce qui émane de vous…
La liberté d’esprit. À tous les niveaux. Je ne fais partie d’aucun groupe ni social, ni politique, ni professionnel. Je peux circuler parmi tous les groupes. Avec tous les êtres humains. Je pourrais me battre, détester, mais souvent dans les grands chagrins, j’ai été sauvée par l’Autre, avec un grand A. Faire confiance à la vie, aux inconnus, à ce qui allait se passer. A la générosité de la vie. À l’imagination de la vie. Je n’avais pas peur de vivre.
Et sur scène, dans quel genre de rôle vous retrouvez-vous ?
Dans le tragique. J’ai une vision noire. Je suis pessimiste, mais positive. ‘‘C’est comme ça, allons-y’’. Je n’avais pas envie d’être une victime, ni quelqu’un qu’on plaindrait. Je suis dans le moment présent.
Vous rationalisez tout ça ?
Non je me jette. Mon père, même jeune, était indépendant d’esprit. Il traitait de la même façon le roi d’Espagne et la vendeuse de cartes postales. Je trouvais que l’être humain était celui avec qui on allait parler. La gloire, la richesse, le pouvoir ne m’intéressaient pas. Quand on est enfant et qu’on voit un homme rester fidèle à ce qu’il croit et à ce qu’il est et dit, cela vous donne un flair qui ne vous laissera pas vous perdre. Comme le flair d’un chien dans la forêt. Quand j’étais jeune, j’aurais pu m’intéresser à la politique pour les idées. Mais je détestais les partis. On me disait : ‘‘Tu dois dire ça, tu vas te taire’’. Non. Niente. Pas pour moi.
Quel rapport entretenez-vous avec vos filles ? Vous voient-elles comme une idole ?
Ah non, nul n’est prophète en son pays. Moi je suis la mère. Je les aime à la folie, mais il y a une mère et des enfants. Je n’ai jamais voulu être la copine. Je n’aime pas l’idée. Je ne suis pas moderne. Cela ne m’intéresse pas du tout d’être moderne.
Vous n’êtes pas féministe ?
Non et surtout de plus en plus, je n’aime pas un monde où on n’aime plus les hommes. Parce que moi j’ai beaucoup aimé les hommes. Maintenant on les juge, on les discrédite. J’ai grandi dans une famille où les hommes étaient magnifiques. Des frères, des oncles, un père, un grand-père. Ils traitaient les femmes comme des déesses. J’ai grandi avec cette idée que les hommes et les femmes sont à égalité. Je n’avais donc pas besoin de revendiquer quelque chose. Je peux reconnaître qu’il y a des exactions, mais… Je n’aime pas la chasse aux sorcières.
Au Bustan, le public qui vous connaît depuis le feuilleton ‘Les dames de la côte’ vous attend fébrilement.
Oui, ‘Les Dames de la côte’ était magnifique. C’est Nina Companeez, qui ne m’avait jamais vu jouer auparavant, qui m’a proposé un très grand rôle. On s’était rencontrées au Fouquet’s à Paris. Elle m’a parlé et il y avait quelque chose en moi qui lui plaisait. Vous voyez comment la vie nous réserve des choses. Le feuilleton a été un énorme succès. François Truffaut avait dit : ‘‘Désormais rester le samedi soir devant sa télé, c’est une joie’’. Et alors qu’en France, à l’époque, il n’y avait que trois chaînes, Les Dames de la côte a été rediffusé un mois plus tard. C’était tellement bien écrit, avec de grands acteurs. C’était romanesque, avec de vrais caractères. C’était magnifique. Aujourd’hui, je viens pour une version très parcimonieuse de ‘Hiroshima mon amour’. Un petit festival me l’avait demandé. C’est de plus en plus la mode en France de faire des lectures. Je n’aime pas les lectures.
Pourtant vous jouez beaucoup de votre voix.
Oui, mais je préfère lire tranquille dans mon lit. Je n’ai pas besoin que quelqu’un me lise sur scène. Je me dis pourquoi je vais embêter ce pauvre homme ou cette pauvre femme à venir m’écouter. Moi je joue au théâtre, je ne lis pas. Bertrand Marcos m’a demandé alors de me mettre en scène.
Vous appréhendez votre prestation ?
J’ai toujours le trac. C’est comme si on rentrait dans la fosse aux lions.
Malgré toutes ses années, votre expérience, vos succès ?
Oui, rien n’est jamais acquis. Il y a quelque chose de magique dans la scène. Cela arrive ou cela n’arrive pas. Le théâtre protège un acteur. Il faut y revenir régulièrement. Parce que cela purifie votre sang. Au cinéma, vous êtes bien choyés, c’est plus facile. Mais au théâtre, on est seul, livré à soi-même, on ne sait pas comment le public recevra le texte.
Vous êtes sur scène avec la voix off de Gérard Depardieu, pourquoi dites-vous que vous vous entendez avec lui ?
J’ai commencé avec lui avec ‘La Femme d’à côté’, mais après, on s’est entendu parce qu’on était pareils. On partage une sorte de liberté de vie, sans attache, sans rien, une forme de liberté de penser, de parole. Moi j’ai grandi dans une famille bourgeoise, lui on dit qu’il a grandi comme un voyou qui s’est élevé tout seul. Mais finalement nous parlons le même langage. Je n’ai jamais eu peur. Lui non plus. C’est justement ce que j’aime dans la vie : Il y a de la place pour tout le monde. Je n’ai jamais fais de prosélytisme. À une époque où on parlait féminisme, je disais ‘‘la femme qui veut faire grandir ses enfants, s’occuper de son mari, laissez la le faire. Laissez-la tranquille’’. Cette façon d’avoir une seule trajectoire dans la vie ! Mais non, ‘‘fais ta vie, ne te laisse pas ronger par des avis’’.
Vous sentez-vous proche de Marguerite Duras ?
Oui. Très jeune, je pensais qu’elle n’avait écrit que pour moi. Dans les librairies, je lisais la 4ème de couverture et je me disais : ‘‘Humm cela va me plaire’’. C’est comme ça que je l’ai découverte quand j’étais jeune. Après, j’aurais pu revendiquer tout ce qu’elle disait : la liberté, cet amour qu’elle mettait au centre de tout. L’amour des hommes. Il y a très peu d’écrivains qui ont écrit comme elle sur l’amour. Parce qu’elle les aimait, avec tout ce que représente un homme. Elle a beaucoup aimé les hommes, avec leurs défauts. Par sa liberté de parole comment elle aimait provoquer. Elle a une forme de verbe très directe et en même temps poétique. J’ai beaucoup joué du Marguerite Duras. Quand on voit ces textes, c’est comme une partition de musique. Il y a quelques lignes, puis elle laisse un blanc. Elle peut redire la même phrase. C’est de la poésie.
Une dernière question avant de se quitter, toutes ces bagues à vos doigts ont-elle une signification ?
C’est arrivé comme ça. Cela a commencé par une. Mais on n’a que dix doigts…
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