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Mireille Maalouf, le théâtre venu de loin

17/02/2018|Nicole V.Hamouche

La diaspora est une richesse culturelle pour le Liban.
Faire connaitre certaines figures artistiques auprès du public libanais, c’est les attacher encore plus à la mère patrie.
L’Agenda Culturel rencontre certains de ces artistes, nés ou originaires du Liban, vivant au Brésil, en Colombie, au Canada, en France…
Quelle image ont-ils du Liban ? Comment intègrent-ils dans leur création à la fois leurs origines, leur vision actuelle relative à une autre société ? 
 

Mireille Maalouf est une actrice libanaise installée en France. Elle rejoint en 1974 la compagnie du célèbre Peter Brook, le Centre International de Créations Théâtrales en résidence au théâtre des Bouffes du Nord. Brook met en scène des pièces du grand répertoire international et plus particulièrement des classiques de Shakespeare. Ses spectacles présentés partout dans le monde, auront significativement contribué au théâtre d’avant-garde du XXème siècle. Vingt ans plus tard, Mireille Maalouf rejoint la compagnie d’Irina Brook, la fille de Peter Brook. C’est avec elle qu’elle joue en ce moment à Paris, Peer Gynt d’Ibsen, aux Bouffes du Nord, avant de se rendre à Beyrouth pour une soirée poétique dans le cadre du Festival Bustan dédié à Bach. Elle a egalement joué dans des films de réalisateurs libanais tels que 'Beyrouth ya Beyrouth' de Maroun Bagdadi (1975) et 'Go Home' de Jihane Chouaib (2015).
 


 


 

Son propos est celui des femmes que l’on appelle ‘puissantes’. Même par téléphone, il y a une énergie qui passe, un souffle qui vous prend… Le propre des grands comédiens ? Savoir jouer avec l’énergie ou s’en faire un conduit, pour ceux - humbles - qui disent ‘‘se mettre à disposition de quelque chose de plus grand qu’eux : d’un texte, d’une histoire, d’une transmission…’’. Mireille Maalouf joue avec tout ‘son être’; sa vie et le théâtre sont presque confondus ; elle s’y est consacrée, il le lui rend bien. Elle foule les planches des scènes du monde, donne vie à de grands textes et incarne des rôles très divers.

Et même si elle martèle que ‘c’est la vie qui est importante’, elle reconnait aussi combien ‘le théâtre a nourri’ la sienne, ‘l’a enrichie’. A force de rôles et de continents, le théâtre aurait rendu ‘son âme très élastique’ comme elle dit. Elle n’a pas peur d’utiliser le mot âme à une époque où le concept n’est pas très à la mode. Cette dame férue de Shakespeare, de son atemporalité, ‘qui trouve qu’avec l’âge elle ressemble de plus en plus à une libanaise’, fait partie de ces comédiennes qui sont justement au-delà des modes, d’une nationalité ou du temps, parce qu’elle est un être, animé, habité ; une femme, avant d’être une comédienne ou une vedette… Le vedettariat n’est pas son moteur, c’est plutôt son instinct qui l’a d’ailleurs poussé à quitter le Liban en 1974, en dépit de l’opposition parentale, pour s’installer en France par amour du théâtre et plus particulièrement pour jouer dans la compagnie de Peter Brook, le metteur en scène qui la fascine. En effet, durant un séjour à Londres, elle assiste à la représentation de la pièce, ‘Le Roi Lear’ réalisé par Peter Brook en 1971… et décide que c’est avec ce metteur en scène qu’elle veut travailler. A son arrivée à Paris, le hasard veut que le Théâtre des Bouffes du Nord organise alors des journées portes ouvertes ; à l’issue de celles-ci, Mireille Maalouf qui comptait déjà à son actif six ans de théâtre auprès de Mounir Abou Debs au Liban, prend le courage de s’adresser à Brook qui l’engagera deux semaines plus tard dans sa troupe. Ainsi commence l’aventure. 

Ibsen, Shakespeare, le Mahabharata, la Conférence des oiseaux, etc. ; Paris, Londres, New York, Calcutta, etc. Elle restera vingt ans dans la compagnie de Brook pour rejoindre par la suite celle de sa fille Irina Brook, avec qui elle joue actuellement Peer Gynt d'Ibsen. Elle joue en français, en anglais, en arabe. Le Liban ne la quitte pas, du moins de par son amour de la langue arabe, notamment classique, et l’exploration de celle-ci dans le théâtre ; comment transmettre et la rendre accessible au public. L’arabe est la langue qu’elle affectionne le plus, ‘‘une langue viscérale, dans sa sensualité par opposition au français, une langue de la pensée qui exige d’aller jusqu’au bout de la pensée’’. Pour la comédienne, l’arabe permet d’‘‘installer l’image dans le silence de l’espace’’. C’est de là aussi que vient la théâtralité 

Mireille Maalouf jongle entre les langues ; il lui est arrivé de jouer trois pièces à la fois, dans trois langues différentes. De l’acrobatie de haute voltige qui la stimule : ‘‘ceci exige de l’interprète d’être à niveau’’. Le défi, l’apprentissage, l’exploration… L’actrice n’en finit pas de jouer.

Et bien que l’arabe soit sa langue de prédilection et un état d’esprit, elle a choisi de s’installer en France. Un choix guidé par le travail répond-elle : ‘‘je vais là ou le travail m’appelle’’; ‘‘ j’ai toujours eu la liberté de choix. J’ai toujours fait des choses que j’ai aimées, que j’ai défendues, choisi des personnages qui répondent à une quête de vie’’.

Une liberté de choix et des convictions qu’elle défend par son travail
Elle défend aussi un certain théâtre et n’adhère pas au discours qui veut que l’on serve au public libanais du ‘‘débilisme’’ et ‘‘constamment la même sauce’’ sous prétexte que c’est ce qu’il veut ou peut appréhender. ‘‘Tous les publics du monde sont semblables’’ élabore la comédienne; elle en a l’expérience. ‘‘Il y a des publics plus éduqués dans différents arts, plus aguerris certes ; mais tout est dans la manière de faire passer l’histoire, d’approcher le public ; il s’agit de trouver un style. Le théâtre au Liban doit être populaire - ce qui ne veut pas dire du divertissement - il doit pouvoir faire rire et pleurer, un théâtre total ; le style simple ; il faut raconter des histoires...’’. Elle relate à ce propos son expérience libanaise l’an dernier avec Julia Domna, sur la pièce de Shakespeare, jouée en arabe, à l’occasion du 400ème anniversaire du dramaturge britannique dans le cadre du festival Bustan. Avec feu Jalal Khoury et Refaat Torbey, ils tournent avec la pièce dans tout le Liban. L’accueil du public est un cadeau et bien la preuve que le théâtre n’est pas réservé à une élite ; depuis les Grecs il est au cœur de la vie de la cité. ‘‘L’universalité du propos, c’est cela qui touche (…) les histoires…’’. ‘‘S’approcher le plus possible d’une vérité qui puisse toucher le public’’ tel est le rôle de l’acteur. Et tel est l’enseignement que Peter Brook a transmis à cette grande comédienne : ‘‘il m’a appris la recherche, la mise à disposition de l’acteur de tous les moyens pour qu’il progresse pour qu’il s’approche (justement) le plus possible d’une vérité qui puisse toucher le public’’. Avec Peter Brook c’est aussi à Mounir Abou Debs, disparu il y a quelques mois, qu’elle rend un hommage appuyé le citant à plusieurs reprises : ‘‘il m’a appris la discipline, le travail, l’humilité et tout ce qui nous manque en ce moment au Liban’’. 

‘‘L’amour du travail m’a été instillé avec l’Ecole du Théâtre Moderne de Abou Debs ; pour avancer dans ce monde tellement difficile qu’est l’art. L’art est un monstre qui nous écrase, si on n’est pas honnête, si on ne le sert pas. Je ne sais pas combien on inculque cette idée aux jeunes au Liban qui veulent devenir star d’un coup (…) C’est le processus qui compte pas le résultat. On apprend jusqu’au dernier souffle’’.

Apprendre ‘‘pour rester vivant’’. ‘‘Travailler son corps, sa voix, son imagination, assister aussi à ce que les autres font’’. ‘‘Accepter que de nombreuses expériences puissent traverser notre être pour avancer; il n’y a pas que l’aboutissement qui compte’’. Ce n’est pas qu’une leçon de théâtre que donne Mireille Maalouf.

Le 1er mars elle participe dans le cadre du Festival du Bustan à une soirée poétique en arabe, où elle lira, avec Refaat Torbey des poètes arabes, choisis pour accompagner la musique de Bach. Le Liban l’appelle de plus en plus ; elle a envie de transmettre ici, de travailler avec les jeunes : ‘‘j’aimerais jouer plus au Liban, partager des choses avec mes amis ici, pouvoir m’impliquer plus dans une sorte de travail approfondi qui peut intéresser notre pays, développer des ateliers, quelque chose de consistant...’’. Entre temps, elle loue le courage de ceux qui continuent à travailler dans la profession ‘‘c’est formidable’’, et savoure ‘‘les rochers et la beauté de la montagne du Liban’’ où elle vient se ressourcer de temps à autre dans son village natal, Kfar Aqab. 

[Photo : © Heloise Faure]
 

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