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Avant d’oublier : La mémoire affective de Georges Boustany

08/12/2022|Maureen Dufournet

Georges Boustany nous livre un ouvrage bien particulier, à mi-chemin entre un journal historique et un récit personnel, le second tome d’Avant d’oublier illustre une mémoire affective d’un temps révolu. Installé au plein cœur de l’exposition « Allô, Beyrouth ? » à Beit Beirut, ce gardien de la mémoire dédicace son ouvrage le vendredi 9 décembre de 17h à 20h. Georges Boustany nous raconte les histoires de ses clichés. 

 

Votre premier tome paraissait en 2019 et nous offrait un bel aperçu du Liban du passé, qu’apporte de nouveau ce second tome ?

Le deuxième volet d’Avant d’oublier est une suite chronologique du premier tome qui retrace les trois dernières années que nous avons traversé. J’ai choisi de lui donner la couleur rouge, car c’est ainsi que s’expriment ces années pour moi, une couleur de feu, de sang, de dureté, de crise… La photo de première de couverture représente une petite fille en rouge qui fait référence au film La Liste de Schindler, et rend hommage à tous les enfants qui ont été tués pendant l’explosion du 4 août. Le livre est composé de tous mes articles parus sous la rubrique La Carte du tendre, de L’Orient-Le Jour, depuis 2019 que j’ai voulu réunir dans un ouvrage pour pouvoir en garder une trace. L’avantage du livre est aussi le rendu photo, l’image prend vraiment toute sa dimension, ce qui n’est pas possible lors d’une impression sur du papier journal. C’est avant tout un livre d’images, mais dont le texte prend petit à petit son importance, car si pour mes premières images il n’y avait qu’un court texte qui illustrait succinctement l’image, aujourd’hui vous pouvez vous apercevoir que le texte prend autant de place que l’image, si ce n’est plus. Ce second livre met alors les photos plus en perspective, il est très influencé par le quotidien et l’actualité, l’histoire de notre pays, la révolte, la crise épidémique du covid, l’explosion, la crise économique… Je voulais donner de la vie et de la profondeur à ces images pour montrer qu’elles ne représentent pas simplement la nostalgie du passé, mais ce sont des photos qui nous parlent encore aujourd’hui. Il cherche à illustrer davantage les constantes qui reviennent dans ce pays : les crises sanitaires, économiques ou encore les conflits politiques. 

 

Votre collection de photo est assez particulière, pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis un collectionneur de photo vernaculaire depuis 2017, c’est-à-dire des photos d’anonymes, d’amateurs, du peuple. Ce ne sont pas des photos de professionnels, mais ce sont des clichés que nous pouvons retrouver dans des greniers, dans les maisons abandonnées, ce sont des photos de nos grands-parents. Ce qui est intéressant avec ces images, c’est qu’elles sont uniques, étant prises par des particuliers il n’y a qu’un seul exemplaire de chaque instant capturé. 

Je suis en réalité archiviste depuis l’âge de huit ans, j’ai commencé à découper des journaux dès que la guerre a commencé, sentant que ce qui se passait était inédit, je voulais en garder un souvenir. Et maintenant j’ai des archives à n’en plus finir ! En 2015, cela faisait quarante ans que la guerre avait éclaté et personne n’en parlait, c’est un réflexe au Liban : oublier pour avancer. Mais je ne voulais pas que cette période tombe dans l’oubli alors j’ai créé « La guerre du Liban au jour le jour », en collaboration avec L’Orient-Le Jour, une page Facebook reprenant chaque jour ce qu’il s’est passé il y a 40 ans. Les photos qui sont sur cette page sont des photos d’amateurs qui n’ont jamais été publiées auparavant et sont extraites de ma collection qui compte aujourd’hui plus de 10 000 photos, référencées et classées, par lieu, date, événements… En 2017, j’ai alors proposé à L’Orient-Le Jour de publier de temps en temps des photos de ma collection, ce qui a donné lieu à La carte du Tendre, une chronique pleine de nostalgie, une forme de tendresse par rapport à une actualité beaucoup plus dure. 

 

Avec une collection de 10 000 photos, comment parvenez-vous à conserver ces images ? 

Toutes mes photos sont conservées à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), car il est vraiment difficile de conserver autant de photos chez soi puisqu’il y a des conditions de conservation et de température vraiment particulières à respecter pour que les clichés ne se dégradent pas. A l’USEK, ce sont des professionnels qui nettoient et stérilisent les photos pour qu’il n’y ait plus de processus de vieillissement. Ils les conservent dans des salles où la température et la luminosité sont dites neutres, à l’abri de l’impact du soleil, car c’est ce qui abîme le plus les photos. 

Je ne me considère pas comme le propriétaire de mes photos, mais plutôt comme le gardien de ces dernières pour un certain temps, jusqu’à ce que quelqu’un d’autre prenne le relais. Ce sont les souvenirs de tout le monde, c’est la mémoire d’une époque d’un Liban qui n’est plus et qu’il faut conserver. C’est le cas des images de tramways qui ont disparu en 1964. Aujourd’hui il y a encore des individus qui s’en rappellent et se souviennent même du prix d’un ticket, mais un jour, il n’y aura plus personne et c’est dans ces cas que les photos prendront tout leur sens. 

 

Votre ouvrage retrace la vie de familles d’un Liban passé, que souhaitez-vous transmettre par ces histoires ?

Il existe avant tout une histoire de souvenirs et de filiation, l’avantage d’un livre par rapport au journal, c’est qu’il se lit et se relit, il se transmet aux générations suivantes. Dans mon cas, c’est assez important car j’ai quatre garçons et j’aimerais leur dire : voilà ce qu’était le Liban que moi-même je n’ai pas connu, le Liban de l’âge d’or. La transmission de la mémoire est essentielle dans un pays, car une nation ne peut pas se construire sans connaître son roman national, ses images communes. Il s’agit également d’une histoire de filiation entre les histoires des Libanais des années d’antan et la jeune génération. Au cours de mes recherches, j’ai pu faire plusieurs rencontres et rencontrer les descendants de personnes présentes sur certaines photos. Un jour, je suis tombé sur un simple carnet que je me suis mis à lire et j’ai réussi à retrouver le fils de sa propriétaire. Il s’agissait d’une femme libanaise qui faisait un voyage au Brésil pour aller voir sa famille, un voyage très long et éprouvant qu’elle nous raconte en détail. A travers cette histoire, c’est l’histoire de l’aviation, de l’émigration libanaise, l’histoire d’un temps où Beyrouth était une plaque tournante entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Au final, il ne s’agit pas d’un simple récit historique, c’est un véritable travail de mémoire. J’ai voulu mettre des noms sur les individus sur les clichés pour recueillir leur propre souvenir, c’est vraiment le micro-détail, la micro-histoire qui est importante à mes yeux, car c’est à travers cela que nous écrivons l’histoire du pays. 

 

La signature de votre ouvrage s’effectuera à Beit Beirut, pouvez-vous nous parler de cette soirée ?

En ce moment à Beit Beirut, se tient une exposition qui retrace les années de guerre et d’avant-guerre du Liban. L’exposition « Allô, Beyrouth ? » reconstitue des scènes de vie d’une période passée et souvent regrettée. Certaines de mes photos ont été utilisées pour mettre en scène des archives de l’histoire libanaise d’avant-guerre. C’est Delphine Darmency, la directrice de l’exposition, qui m’a proposé de faire la signature là-bas. L’intérêt de dédicacer mon livre dans cet endroit est d’offrir aux lecteurs une expérience immersive, car pour venir jusqu’à moi, ils vont devoir traverser une partie de l’exposition regorgeant d’odeur, de son, d’image et de sensation d’autrefois. Ils vont traverser des espaces mythiques de Beyrouth, dont les reconstitutions des caves du Roy ou d’un salon de coiffure, avant de me retrouver dans un café populaire avec vue sur l’avenue des Français, une promenade qui n’existe plus aujourd’hui ayant laissé place à Zaituna Bay. 

 


Photo du portrait : Gregory Buchakjian

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