Juste à la frontière qui sépare Beyrouth du Metn, le quartier de Qobaiyat avec ses couleurs pastel, ses jardins fleuris et ses vieilles maisons à deux étages dégage une atmosphère de paix et de sérénité. Le calme règne à peine perturbé par les bruits usuels d’une ville qui travaille. Les Arméniens qui se retrouvent là en majorité sont d’habiles artisans et les nombreux commerces montrent bien toute l’étendue de leur savoir-faire. Ils appellent leur quartier Badaoui, du nom de la rue principale qui le traverse, mais aussi Camp Hajin, Quarantaine et Medawar pour la région.
Ce petit bout de ville qui se situe sur un entre-deux a pourtant une identité qui lui est propre. Celle de tout un peuple qui a traversé un jour des terres, des mers et enfin un pont pour fonder un quartier dans lequel il fait visiblement bon vivre et travailler. Et Qobaiyat c’est avant tout des hommes et des histoires, des sourires et beaucoup de gentillesse.
Dès 1915, fuyant le génocide, les Arméniens affluent en masse à Beyrouth. Débarqués à la Quarantaine, ils sont logés dans des camps mis à la hâte à leur disposition par des autorités débordées. Dynamiques et courageux, ils se mettent rapidement à chercher du travail. Les camps surpeuplés et insalubres sont délaissés au profit de terrains avoisinants où les Arméniens s’établissent avec un leitmotiv : garder intacts les habitudes, l’usage de la langue, les traditions culinaires, s’intégrer parfaitement dans le tissu social et proposer au pays d’accueil leurs aptitudes comme dans le domaine de la musique, de la photographie et de l’orfèvrerie. Krikor Latchinian est photographe. Il habite Qobaiyat depuis 40 ans et adore Beyrouth. Ses yeux pétillent quand il nous explique que lorsque les Arméniens se sont installés là, ils ont rebaptisé entre eux les rues du nom de leur région d’origine. Camp Hajin, Camp Adana, Camp Sis, histoire de ne jamais oublier…
Garo Avedikian est né ici. Il tient le petit commerce de serrures de son oncle : « Les petites maisons sont vieilles mais elles sont toutes très soignées. L’association Help Lebanon a peint les maisons en 2008. C’est un quartier mixte et certains musulmans qui avaient fui durant la guerre reviennent dans leurs maisons. Vous dites que le quartier s’appelle Qobaiyat ? Non je ne crois pas. Ici, c’est Badaoui. Allez voir Coco, il est plus âgé que moi. » Krikor der Stefanian est fraiseur de son état. Il confirme que le quartier s’appelle Badaoui mais qu’il a peut-être emprunté le nom de Qobaiyat au village dont sont originaires certains habitants. « Nous sommes là depuis 1948. À l’époque, les ruelles n’étaient pas pavées. C’était du sable jusqu’à la fin des années 50. J’ai hérité de mon père un petit commerce. Mais c’est devenu par la suite un cinéma “de luxe”. Après la guerre, j’ai refait le magasin. Retaper une vieille maison n’est pas toujours une bonne idée, un appartement est plus pratique. Beaucoup de gens ont préféré s’installer ailleurs. Depuis toujours, le quartier vit au rythme du sport. Le club sportif Homenetmen s’est établi ici en 1921. Les jeunes ne faisaient que ça. Beaucoup de champions internationaux sont issus du quartier. Le club de sport et l’église étaient les deux pôles principaux. Mais les mœurs ont évolué et les jeunes ont d’autres priorités. »
Dans les petites rues de Beyrouth, encastrés parfois entre deux grands immeubles, quelques petits métiers d’hier survivent grâce à une clientèle fidèle qui n’irait ailleurs pour rien au monde. Et si hier leur présence était une évidence, les noms prononcés aujourd’hui revêtent une sonorité un peu désuète mais qui possède un charme qu’on a très envie de prolonger. S’il faut aller loin dans les terres libanaises pour rencontrer encore un potier, un tisserand, un meunier, Beyrouth a gardé quelques-uns de ces travailleurs solitaires qui mettent du cœur à l’ouvrage dans leur boutique minuscule. Ainsi le serrurier, le barbier, l’étameur, le charpentier, le tourneur, le cardeur, le cordonnier, le menuisier, le forgeron… autant d’hommes qui ont appris de leur père les rudiments d’un métier simple, limpide, et dont la nécessité appartient aujourd’hui au patrimoine.
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