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Un livre, un auteur: «La guerre un tango mortel ?», la question en suspens de Yolande Gueutchérian…

04/11/2020|Bélinda Ibrahim

Pourquoi avoir attendu tant d’années avant d’exorciser vos souvenirs de guerre ?

J’ai écrit ce livre avec beaucoup d’émotions et de douleur. Je revivais chaque expérience relatée.
Pourquoi maintenant ? J’étais prête à affronter tous ces souvenirs, certains très douloureux.
Il y a aussi le devoir de mémoire qui est sous-jacent dans l’écriture de ce livre et qui désigne l’obligation morale d’évoquer un événement historique tragique ainsi que ses victimes afin que ce dernier ne se reproduise plus. Cet ouvrage a une fonction de transmission aux jeunes générations d’une partie de l’histoire du Liban, à savoir les 15 ans de guerre que nous avons vécus de 75 à 90. Si les choses ne sont pas dites comme c’est le cas dans les écoles au Liban, on peut assister à une transmission inconsciente et les blessures psychiques peuvent se propager de proche en proche, de génération à génération à la manière d’un héritage ou d’une contagion. L’adulte en devenir se retrouvera alors sans histoire, sans racines suffisamment saines avec le risque d’une perte de repère identitaire et la difficulté de construire un projet de vie sur des fondations solides.

 

Pourquoi ce titre ? Et quelle est la relation-selon vous- entre le tango et la guerre ?

Ce titre s’est imposé à moi. J’ai pensé au tango par métaphore, entre la guerre que j’ai longtemps vécue au Liban et le tango argentin à mille facettes : ils décrivent tous deux la loi de la jungle ; la passion, le sang, l’agressivité ; la vie et la mort violente ; les étreintes et les éloignements ; enfin, les séparations et les adieux. Le couple de danseurs d’une part, les antagonistes militaires de l’autre. Les paroles du tango se réfèrent souvent à une mort violente survenue lors d’un duel. La guerre n’est jamais loin. Ceux qui ont créé le tango sont issus de la pauvreté et de l’immigration. Je suis fille d’immigrés.
La vaste majorité de ces migrants -italiens, français, espagnols- avaient tout laissé derrière eux pour trouver du travail ailleurs, comme le firent mes parents. Nostalgiques de leur patrie, de leurs femmes, de leurs familles, ils cherchaient du réconfort pour adoucir leur mélancolie. C’est dans cet environnement empreint de nostalgie, que l’on a vu naître le tango. Dans les ports et barrios (quartiers), on trouve aussi bien des descendants d’esclaves, d’anciens paysans marginalisés par la seconde révolution industrielle, et un grand nombre de travailleurs immigrés européens venus tenter leur chance dans le nouvel eldorado argentin.
C’est sans doute de là que vient la belle définition du tango par l’écrivain argentin Ernesto Sabato comme « une pensée triste qui se danse ».
 

Quelles sont les stigmates que cette guerre incivile a laissés sur vous ?

Existe-t-il une guerre « civile ? » Toutes sont « inciviles »
Je choisis de ne pas répondre à cette question. Ma profession m’empêche d’étaler ma vie privée.
Je peux juste dire que j’ai vécu des traumatismes comme beaucoup de Libanais.

 

Avez-vous peur que ça recommence ?

Oui, et c’est le cas de tout le monde.
Qu’est ce qui a changé depuis les 15 années de guerre précédentes ? Nous sommes toujours dans l’immobilisme et la répétition.

 

Si l’on remonte à vos racines arméniennes, la guerre civile du Liban vous est-elle apparue comme une sorte de fatalité qui vous poursuit ?

Non, pas une fatalité. Le transgénérationnel existe.
L'analyse transgénérationnelle s'appuie sur l'étude de l'arbre généalogique de l'individu pour mieux expliquer et apaiser ses angoisses.
Quand nous nous penchons sur l’histoire de notre famille, nous pouvons observer ces traumatismes. Ce n’est pas toujours la première génération qui en subit les conséquences mais c’est généralement à partir de la troisième ou de la quatrième génération que les problèmes se posent. Sans connaitre cela il est difficile de comprendre nos difficultés. Nous savons maintenant que ces traumatismes non réglés peuvent se reproduire dans les générations suivantes, parfois sous une autre forme, souvent inconsciente mais avec les mêmes blessures. Comment faire ? Comprendre ce qui s’est passé dans sa famille permet d’avoir un autre regard sur ses blessures, cependant ce n’est pas toujours suffisant. Il y a des actes que nous pouvons mettre en place pour guérir et réparer les blessures du passé. Ils peuvent être multiples et se font bien souvent inconsciemment. Ils vont du choix du métier, à l’expression artistique, mais aussi l’aide aux autres, l’engagement pour une cause ou par toute forme de créativité.

 

Quel est le vœu que vous feriez s’il vous était donné de changer le cours de votre vie.

De vivre en paix au Liban. J’ai eu l’occasion de partir mais je ne l’ai pas fait. Mes racines sont au Liban.

 

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