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Ce n’etait pas si mal avant (I/III)

22/06/2021|Dounia Mansour Abdelnour

La génération-charnière du téléphone fixe au portable

 

Les baby-boomers et les séniors des générations présentes, sont nés et ont grandi avant l’usage généralisé des téléphones portables et de la Toile. Cette génération-charnière entre le second et le troisième millénaire, aura eu le privilège de vivre entre deux mondes, celui révolu, antérieur au Web et aux portables et celui post usage numérique des années 90. Elle est témoin du rythme accéléré et effréné des activités de communication qui ont à jamais bouleversé les modes de vie et les notions d’espace et de temps. 
 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, il n’y avait qu’un écran à la maison, celui de la télévision, qui fut un facteur déterminant dans la vie des jeunes et une partie intégrante de leur culture. Le petit écran comptait deux chaines au départ, Télé Liban et le Canal 9 dont la pièce de théâtre Les Nouveaux Riches, d’Yvette Sursok est restée dans les mémoires. 

 

Les communications d’alors n’étaient pas pressées. Elles prenaient encore leur temps. Les Pages Jaunes étaient l’outil indispensable pour appeler un client ou trouver un numéro de téléphone, les pièces de monnaie utiles pour passer des appels en cabine téléphonique et les cartes routières indispensables avant le départ en voyage. Les centrales téléphoniques drainaient une foule de gens et les services postaux distribuaient le courrier à leur rythme, en une semaine ou davantage pour la correspondance outre-mer. 
 

Les destinataires de lettres et de télégrammes attendaient des jours, voire des semaines, un pli espéré ou appréhendé, délivré par le facteur et auquel parfois une vie entière était attachée. Écrire une lettre à l’aide d’un stylo à encre, soigner sa calligraphie sur le papier choisi chez le libraire, y déposer ses émotions et états d’âme, la sceller, se rendre à la poste, y apposer un timbre et la remettre en main à l’employé de la poste pour la pesée avant le règlement, composaient un rituel incontournable. En retour, l’expectative des réponses avait parfois un arrière-goût doux-amer mêlé à l’impatience ou l’anxiété. Que de cœurs palpitant d’espoir ont au coin de la rue, guetté le facteur à pied ou à vélo coiffé de sa fameuse casquette et portant sa mallette sur l’épaule. 

Le facteur de Bikfaya était un singulier personnage. Sa silhouette se reconnaissait à distance à son fameux chapeau colonial désuet. Il allait de son patelin à pied jusqu’à Elyssar, arpentant vallées et collines et bravant les pentes abruptes sous un soleil de plomb, parfois. Il était taiseux et n’engageait jamais la conversation. Qui était-il ? Ils connaissent le nom de tout le monde et personne ne connait le leur, c’est le privilège des facteurs, disait PagnolEn effet, son nom est resté ignoré à jamais ! II était le messager, porteur de nouvelles, bonnes ou mauvaises. Sa tournée faisait partie du paysage, il eut été impossible d’imaginer le monde tourner sans lui. 

 

Parallèlement, à domicile, les imposants appareils de téléphone Ericsson avaient envahi la planète. La composition d'un numéro se faisait en tournant le disque rotatif avec le doigt en butée sur un cadran autour duquel sont affichés les chiffres de 0 à 9 dans le sens des aiguilles d'une montre. À chaque chiffre, l’index formant un arc de cercle valsait en un mouvement d’aller-retour. Une sonnerie unique au dring dring familier résonnait en tous lieux. Le téléphone loin d’être individuel était au service de toute la famille et facilitait les contacts nationaux ainsi que les appels outre-mer qui demeuraient relativement onéreux.

 

Objet sédentaire, omniprésent, l’appareil de téléphone avait son emplacement invariable, élément occupant toute sa place dans le décor, on appelait de chez soi et on recevait les appels à domicile. Il était impossible de joindre les gens par téléphone lorsqu’ils étaient de sortie. Les appels étant anonymes, que d’amoureuses, le cœur aux aguets, si bien incarnées par Vikky Carr dans sa chanson It Must Be Him avaient espéré l’appel attendu de leur distant chéri, et vice-versa.   


De célèbres sketchs comme Le 22 à Asnières de Fernand Raynaud qui a même été joué lors d’une fête de l’école à Beyrouth et Le télégramme d’Yves Montand et Simone Signoret, illustraient les aléas des appels dans les centrales téléphoniques. Il fallait souvent s’armer de patience pour passer un appel à l’autre bout du monde. 

 

C’était une époque où la notion de temps était différente. La vie s’écoulait légèrement sans la Toile et le portable. L’imminence n’était pas une notion familière et l’attente faisait partie inhérente de la vie. Être en voyage signifiait être difficilement joignable et le routard avait le sentiment d’être quasi inaccessible une fois à l’étranger. Pour se parler, il fallait se rencontrer chez soi ou ailleurs et donc se remuer. Le Facebook d’alors était les visages familiers, les amis, les livres et les magazines. Les photos qui tenaient lieu d’Instagram étaient imprimées chez le photographe du quartier et précieusement insérées pour la postérité dans l’album familial. Pour obtenir une information, il fallait du temps, de la patience et des recherches mais aussi interagir avec les autres, échanger, discuter. L’humanoïde était un être social.

Il ignorait alors qu’il deviendrait un jour un être connecté.   

 

(Photo d’Yves Montand tirée de son fameux sketch Le télégramme)

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